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en qui la grâce admirable de Raphaël s'étouffait sous le déchaînement
de sensualité bestiale où sombra brusquement l'Italie du xvie siècle
après que les prophètes de la Sixtine eurent fait entendre leur voix.
Tous les deux avaient rencontré les nymphes des forêts françaises.
Rosso, pour les retrouver, déshabillait les favorites qui portaient
comme elles un croissant dans leurs cheveux blonds. Primatice les
faisait entrer pêle-mêle dans les grands salons dorés et cirés, allongeait
avec audace, entre les encadrements d'or des glaces, des cheminées
monumentales et des fenêtres, leurs grands corps herculéens, leurs
longues formes ondoyantes, il associait leurs seins fleuris, leurs hanches
pleines, leurs reins mouvants aux fruits, aux blés, aux raisins, aux
légumes qu'on apportait des champs et des treilles pour la table du
roi. Un olympe mondain s'installait au bord des étangs immobiles
que parfois, les soirs d'hallali, empourpraient les torches et le sang.
C'est dans cette atmosphère ivre de sensualité et de grand air que
devaient entrer tous les artistes qu'entraînait dans son orbite la gloire
grandissante de la monarchie. Chez tous on retrouve Ronsard, l'odeur
des bois, l'haleine qui sort des antres frais, une rumeur d'eaux cou-
rantes, les femmes nues où le poète des jardins voit de belles colonnes
enlacées de vigne et de lierre. Ils étaient exilés du vrai siècle, hors de
la multitude, de ses besoins, de ses souffrances, de l'esprit qui l'agitait.
Nulle part Montaigne, sauf quelquefois chez les Clouet. Nulle part
Rabelais, sauf dans la verve savoureuse et vaillante du bon sculpteur
Pierre Bontemps. Aucun écho des horribles guerres religieuses, aucune
odeur des bûchers où brûlent les chairs et les livres. Les artistes pro-
testants eux-mêmes n'ont pas tous senti passer Calvin. Peut-être y
a-t-il tout de même un peu de sa raide nature dans les tombeaux de
Barthélemy Prieur? Et sans doute Ligier Richier retrouve-t-il sa
vigueur sèche et son tourment quand il dresse sur un socle un cadavre
pourri élevant son cœur incorruptible ou rassemble autour du Christ
mort un âpre et maigre groupe de pleureuses et de porteurs. Mais
Jean Goujon, le plus grand de tous, n'a pas mis les pieds dans le siècle.
Il est huguenot, mais plus pur et plus doux qu'austère, il erre de la
Loire à Fontainebleau, il ne quitte jamais du regard les blés et les
eaux qui s'argentent sous le passage du vent.
Il n'est rien, chez nous, qui soit plus français que cet homme
qui n'a pourtant pas notre bonhomie, ni notre bon sens narquois, qui
doit aux Italiens son éducation d'artiste et qui est comme un trait
d'union entre la France exilée en Italie avec Jean Bologne et l'Italie
exilée en France avec Primatice et Rosso. Il est ce lyrisme de France
qui ne s'éveille presque jamais seul mais dont la flamme monte dès
que le lyrisme latin ou germanique a traversé l'air près de lui. Il est

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