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l'idée insaisissable qui, d'un bout à l'autre de ce sol incline, avec le
vent, les moissons et les herbes. Il fait entrer dans la sculpture — quels
que soient, d'ailleurs, sa matière et son travail, bronze ou marbre,
statue ou médaillon, bas-relief ou ronde-bosse, — non pas, comme
les sculpteurs des basses époques, les procédés de la peinture, mais
un esprit qui n'est l'apanage ni de la peinture ni même de la musique,
ce fluide invisible qui passe avec les brises, les parfums, les murmures,
les sonorités, à travers l'air, le silence et les eaux, toute la substance
diffuse qui flotte sans repos entre les formes arrêtées. Même quand la
forme est seule et qu'il n'y a autour d'elle ni air, ni silence, ni eaux.
Avez-vous vu un visage de Jean Goujon sourire au-dessus d'une
épaule nue, un jeune sein fleurir dans l'angle d'un bras replié? Avez-
vous vu ces membres ondoyants, ces pieds cambrés et durs, ces mollets
hauts, ces longues cuisses, toutes ces rondeurs graciles cachant des
muscles de fer, ces grandes formes qui sont faites pour bondir dans
les bois à la poursuite des biches ou pour fuir « comme un faon qui
tremble » quand le chasseur royal a traversé le chemin ? Il monte d'elles
une odeur de mousse aquatique, un souffle de forêt mouillée. Ces
beaux bras purs qui coulent des épaules sont une colonne liquide sor-
tant d'une urne, ces torses se tordent sur les hanches avec la fluidité
des remous qui se heurtent et se mêlent avant de s'abandonner au
courant, ces draperies agitées par la brise se rident comme la surface
d'une eau, c'est un bruit de source et de fontaine, la paresseuse ondu-
lation des saules, le murmure des peupliers, les longs méandres des
rivières de France, leurs tremblements d'argent parmi les roseaux et
les algues.
Vraiment, de Rosso et de Primatice à Jean Goujon, et surtout avec
lui, il y eut dans cet art-là, cet art des clairières, des étangs, des futaies,
cet art des statues et des colonnes entrevues derrière une muraille
de rameaux, un sentiment très admirable du corps féminin dans la
nature. Ce sentiment devait baisser bien vite à mesure que montait
l'absolutisme monarchique, mais il ne pouvait manquer de se mani-
fester avec une verdeur passionnée au lendemain des souffrances sans
nom vécues par le peuple de France et dans l'espoir de résurrection
que lui apportait une jeune royauté artiste fuyant les villes dévastées
pour prendre possession d'elle-même. Art d'aristocratie, art de caste
même, mais supérieur à sa fonction, parce que jaillissant comme une
jeune pousse sur un vieil arbre, parce qu'affirmant dans un langage
différent de celui que parlaient les hommes qui vivaient dans la fièvre
du temps, Rabelais, d'Aubigné, les réformateurs, les imprimeurs, les
libraires, les inventeurs, l'invincible vitalité d'une race meurtrie par
plus de cent années de deuils et de misère. Si la ferveur violente en

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