et d'horreur. Avec Colins, un sculpteur mystérieux de la fin du siècle,
qui semble avoir passé sa vie presque entière à tailler dans le marbre
du tombeau de Maximilien une sorte d'épopée romantique et guerrière
trop grouillante et surchargée, mais qu'un rythme puissant préserve
de la confusion — et qui d'ailleurs vient du pays flamand, — c'est le
grand dramaturge de cette école anarchique et méticuleuse, une d'esprit
et pourtant faite de pièces et de morceaux. Seulement il ne transmet
pas à son élève Baldung Grien dont les nudités s'allongent, s'arron-
dissent, s'idéalisent sur les conseils désormais tyranniques des artistes
italiens, le secret de sa peinture épaisse, vulgaire, mais toute pénétrée
de matière et d'espace que rien n'annonçait en Allemagne avant lui
et qui disparaîtra tout à fait avec lui... Après Holbein, l'Allemagne
fermera les yeux pour mieux écouter monter du dedans d'elle la
rumeur de révolte qui éclatera sur la terre comme un appel d'amour
intarissable, toujours renaissant dans les sanglots et roulant avec eux
vers l'apaisement et le triomphe, le jour où Beethoven arrachera les
symphonies de son cœur.
Maintenant, est-ce le césaropapisme qui tua l'art allemand, est-ce
la décroissance de l'énergie dont l'art allemand avait été la manifes-
tation suprême qui permit le césaropapisme? Le génie créateur n'était-
il pas momentanément épuisé? Cinquante ans plus tôt, sans doute,
les princes allemands n'auraient pu mettre la main sur le mouvement
réformateur. C'est quand la force intérieure s'épuise que les forces
extérieures reprennent le dessus, et la victoire politique d'une religion
marque toujours l'affaissement de la foi désintéressée qui l'a formulée
peu à peu. Tous les artistes allemands du début du xvie siècle annoncent
Luther et par conséquent, en même temps que l'apogée, le commen-
cement du déclin des affirmations qu'il apporte. Depuis les cathédrales,
l'idée morale dominait la plastique allemande qui, grâce précisément
à son impuissance à choisir dans la nature extérieure, ne fût jamais
parvenue à la réalisation des équilibres de masses et des arabesques
de lignes qui résolvent le problème moral avec tous les autres en éta-
blissant dans l'esprit ce sentiment de plénitude et de continuité que
nous appelons l'harmonie. On peut se représenter Masaccio ou Michel-
Ange luttant sans cesse contre les entraînements de leur nature pas-
sionnée pour élever leur caractère à la hauteur de leur esprit philoso-
phique, on ne peut s'imaginer Dürer que vivant sainement et sans
impossibles désirs et restant toute sa vie bon ouvrier, bon fils, bon
frère, bon époux, bon père, bon citoyen. Ses quatre Évangélistes
illustrent l'apostolat de Luther. Et ce n'est pas la première fois qu'ils
se présentent en Allemagne avec une aussi simple fermeté. En 1519,
quand Luther engageait à peine la lutte, le chaudronnier Pierre Vis-
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qui semble avoir passé sa vie presque entière à tailler dans le marbre
du tombeau de Maximilien une sorte d'épopée romantique et guerrière
trop grouillante et surchargée, mais qu'un rythme puissant préserve
de la confusion — et qui d'ailleurs vient du pays flamand, — c'est le
grand dramaturge de cette école anarchique et méticuleuse, une d'esprit
et pourtant faite de pièces et de morceaux. Seulement il ne transmet
pas à son élève Baldung Grien dont les nudités s'allongent, s'arron-
dissent, s'idéalisent sur les conseils désormais tyranniques des artistes
italiens, le secret de sa peinture épaisse, vulgaire, mais toute pénétrée
de matière et d'espace que rien n'annonçait en Allemagne avant lui
et qui disparaîtra tout à fait avec lui... Après Holbein, l'Allemagne
fermera les yeux pour mieux écouter monter du dedans d'elle la
rumeur de révolte qui éclatera sur la terre comme un appel d'amour
intarissable, toujours renaissant dans les sanglots et roulant avec eux
vers l'apaisement et le triomphe, le jour où Beethoven arrachera les
symphonies de son cœur.
Maintenant, est-ce le césaropapisme qui tua l'art allemand, est-ce
la décroissance de l'énergie dont l'art allemand avait été la manifes-
tation suprême qui permit le césaropapisme? Le génie créateur n'était-
il pas momentanément épuisé? Cinquante ans plus tôt, sans doute,
les princes allemands n'auraient pu mettre la main sur le mouvement
réformateur. C'est quand la force intérieure s'épuise que les forces
extérieures reprennent le dessus, et la victoire politique d'une religion
marque toujours l'affaissement de la foi désintéressée qui l'a formulée
peu à peu. Tous les artistes allemands du début du xvie siècle annoncent
Luther et par conséquent, en même temps que l'apogée, le commen-
cement du déclin des affirmations qu'il apporte. Depuis les cathédrales,
l'idée morale dominait la plastique allemande qui, grâce précisément
à son impuissance à choisir dans la nature extérieure, ne fût jamais
parvenue à la réalisation des équilibres de masses et des arabesques
de lignes qui résolvent le problème moral avec tous les autres en éta-
blissant dans l'esprit ce sentiment de plénitude et de continuité que
nous appelons l'harmonie. On peut se représenter Masaccio ou Michel-
Ange luttant sans cesse contre les entraînements de leur nature pas-
sionnée pour élever leur caractère à la hauteur de leur esprit philoso-
phique, on ne peut s'imaginer Dürer que vivant sainement et sans
impossibles désirs et restant toute sa vie bon ouvrier, bon fils, bon
frère, bon époux, bon père, bon citoyen. Ses quatre Évangélistes
illustrent l'apostolat de Luther. Et ce n'est pas la première fois qu'ils
se présentent en Allemagne avec une aussi simple fermeté. En 1519,
quand Luther engageait à peine la lutte, le chaudronnier Pierre Vis-
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