cher était sorti de sa forge avec son tablier de cuir pour écouter le
bruit du siècle. Alors qu'autour de lui les sculpteurs de second ordre
épuisaient la formule du mysticisme sentimental de l'école rhénane
dont l'équivoque Vierge de Nuremberg est l'aboutissant mondain, alors
que Tillmann Riemenschneider, le maître nerveux de Vürtzbourg,
qu'inquiète une ombre d'ascétisme, cherchait à faire pénétrer quelque
chose de la maigre élégance florentine en ses images de femmes aux
mains fines, aux tresses lourdes, de figure étonnée et candide et de
corps pur sous les robes trop compliquées, Pierre Vischer demandait
à son inflexible morale le secret des plans catégoriques et des volumes
définis. Qu'il coulât dans le métal des armures habitées, des guerriers
droits et sûrs comme la conscience, ou qu'il dressât autour d'un tom-
beau des apôtres intransigeants, on eût dit qu'en revenant avec les
théoriciens de la Réforme au christianisme primitif qui condamnait
cependant la Renaissance, il s'accordait sans le savoir avec la Renais-
sance dans l'appel à l'espoir auquel Donatello donnait un autre nom
que lui.
Avec Dürer, peut-être même avant Dürer, c'est l'esprit le plus
nettement conscient des forces qui poussaient le Réformateur à l'action.
La plupart des autres artistes allaient à lui d'instinct, parce qu'ils
vont toujours à ce qui affirme avec éclat les puissances de vie contre
les puissances de mort. Sa violence, sa joie ramassaient en elles tous
les efforts dispersés vers la lumière que chacun des travailleurs de
l'Allemagne tentait dans sa sphère obscure. Quand Lucas Cranach
faisait le portrait de Melanchton ou celui de Luther avec le respect
attendri que vous inspire une chose qu'on comprend peu et qu'on
sent profondément, quand, à soixante-quinze ans, il devenait prison-
nier de l'Empire à Muhlberg, il n'exprimait certes pas le désir de voir
triompher les principes au nom desquels le protestantisme organisé
devait plus tard chasser les images des temples, déchirer le poème des
sens, condamner l'affirmation de la vie, substituer la sainteté d'un seul
livre à la sainteté de tous les livres affirmée par la Renaissance, achever
d'éteindre partout en Allemagne les foyers d'insurrection dont Dürer
et Luther avaient été les plus grandes lueurs. C'est avec une joie
d'enfant qu'il avait aimé le moine batailleur et sensuel de qui le verbe
savoureux, le lyrisme tonitruant, le rire et le verbe l'enchantaient. Ses
bois confus, blonds, papillotants, où la passion saignait au milieu d'un
cortège bizarre de casaques à crevés, de souliers à la poulaine, de capa-
raçons fastueux, de crinières tressées, d'énormes panaches de plumes,
d'enroulements imprévus, semaient la propagande dans le peuple avec
une ardeur charmante. Il traduisait en bonnes images allemandes le
vieux poème humain que son ami traduisait en bonne prose allemande.
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bruit du siècle. Alors qu'autour de lui les sculpteurs de second ordre
épuisaient la formule du mysticisme sentimental de l'école rhénane
dont l'équivoque Vierge de Nuremberg est l'aboutissant mondain, alors
que Tillmann Riemenschneider, le maître nerveux de Vürtzbourg,
qu'inquiète une ombre d'ascétisme, cherchait à faire pénétrer quelque
chose de la maigre élégance florentine en ses images de femmes aux
mains fines, aux tresses lourdes, de figure étonnée et candide et de
corps pur sous les robes trop compliquées, Pierre Vischer demandait
à son inflexible morale le secret des plans catégoriques et des volumes
définis. Qu'il coulât dans le métal des armures habitées, des guerriers
droits et sûrs comme la conscience, ou qu'il dressât autour d'un tom-
beau des apôtres intransigeants, on eût dit qu'en revenant avec les
théoriciens de la Réforme au christianisme primitif qui condamnait
cependant la Renaissance, il s'accordait sans le savoir avec la Renais-
sance dans l'appel à l'espoir auquel Donatello donnait un autre nom
que lui.
Avec Dürer, peut-être même avant Dürer, c'est l'esprit le plus
nettement conscient des forces qui poussaient le Réformateur à l'action.
La plupart des autres artistes allaient à lui d'instinct, parce qu'ils
vont toujours à ce qui affirme avec éclat les puissances de vie contre
les puissances de mort. Sa violence, sa joie ramassaient en elles tous
les efforts dispersés vers la lumière que chacun des travailleurs de
l'Allemagne tentait dans sa sphère obscure. Quand Lucas Cranach
faisait le portrait de Melanchton ou celui de Luther avec le respect
attendri que vous inspire une chose qu'on comprend peu et qu'on
sent profondément, quand, à soixante-quinze ans, il devenait prison-
nier de l'Empire à Muhlberg, il n'exprimait certes pas le désir de voir
triompher les principes au nom desquels le protestantisme organisé
devait plus tard chasser les images des temples, déchirer le poème des
sens, condamner l'affirmation de la vie, substituer la sainteté d'un seul
livre à la sainteté de tous les livres affirmée par la Renaissance, achever
d'éteindre partout en Allemagne les foyers d'insurrection dont Dürer
et Luther avaient été les plus grandes lueurs. C'est avec une joie
d'enfant qu'il avait aimé le moine batailleur et sensuel de qui le verbe
savoureux, le lyrisme tonitruant, le rire et le verbe l'enchantaient. Ses
bois confus, blonds, papillotants, où la passion saignait au milieu d'un
cortège bizarre de casaques à crevés, de souliers à la poulaine, de capa-
raçons fastueux, de crinières tressées, d'énormes panaches de plumes,
d'enroulements imprévus, semaient la propagande dans le peuple avec
une ardeur charmante. Il traduisait en bonnes images allemandes le
vieux poème humain que son ami traduisait en bonne prose allemande.
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