LE CHEVAL DANS L’ART.
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ce labeur constant figure sur ses cahiers remplis de notes que possède
l’École des Beaux-Arts, à côté d’études analogues à la sanguine et au
crayon noir par Géricault. Nul ne songera à accuser ces deux autorités
artistiques d’abuser de la sécheresse de ces limites chiffrées et d'une sou-
mission trop rigoureuse à la forme réelle, dans leurs compositions, dont
le mérite est surtout de ne pas imposer le côté minutieux de cette re-
cherche. Leur facture est grande. Les plus petits sujets s’ennoblissaient
sous le robuste ébauchoir de l’un, devenaient vivants sous le pinceau
sérieux de l’autre. Studieux et chercheurs comme l’étaient ces deux
maîtres, ils firent beaucoup pour connaître à fond le cheval ; mais, mal-
heureusement, de leur temps, la partie théorique de l’étude du mouve-
ment, en dehors des fantaisies permises dans l’art, n’avait tenté aucun
interprète, ainsi que l’étudièrent depuis, scientifiquement et expérimenta-
lement, avec l’autorité de leur nom, MM. Marey, le savant physiologiste,
Raabe, l’érudit professeur écuyer, et Meissonier, comme peintre. Les
connaissances nouvelles, aujourd’hui, font que la nécessité de faire vrai
s’impose aux artistes.
Un des hommes qui a le plus souffert de l’insuffisance de l’enseigne-
ment théorique préconisé par nous est sans contredit Fromentin, artiste
si bien organisé comme poète et comme peintre : je n’en veux pour
preuve que l’aveu sous forme de regret profond qui lui faisait dire que
notre époque, émancipée et sans règle, était le produit d’une instruction
nulle et d’une éducation détestable. Le passage suivant, que nous em-
pruntons à sa correspondance intime, n’explique que trop bien la constata-
tion de cette lacune à propos du cheval. La lettre est du 18 septembre 187/i :
« ... Après avoir beaucoup, mais beaucoup travaillé, je ne suis, moi non
plus, pas content de moi. Je ne suis guère plus avancé qu’avant dans la
connaissance exacte de mon animal. C’est un monde à étudier ; je com-
mence à peine, non pas à le rendre, mais à en comprendre les propor-
tions et, quant à la science des détails les plus nécessaires à la simple
construction, je n’en sais pas le premier mot... Ce que je ne sais pas, je
ne le vois pas. Je rends beaucoup mieux ce que je devine que les choses
que je consulte ».
On remarquera qu’à l’époque où l’artiste, dans sa sincérité, trouve
avec inquiétude que la vraisemblance ne lui suffit plus, il jouissait déjà
d’une grande considération justement méritée : en 187/i, il était offi-
cier de la Légion d’honneur depuis cinq ans; dès 1850, il avait reçu
une deuxième médaille pour des tableaux dans lesquels figuraient des
chevaux. Ce peintre éminent, qui avait vu la nature en poète, se montrait
sévère pour lui-même et, dans la bouche d’un connaisseur aussi délicat,
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ce labeur constant figure sur ses cahiers remplis de notes que possède
l’École des Beaux-Arts, à côté d’études analogues à la sanguine et au
crayon noir par Géricault. Nul ne songera à accuser ces deux autorités
artistiques d’abuser de la sécheresse de ces limites chiffrées et d'une sou-
mission trop rigoureuse à la forme réelle, dans leurs compositions, dont
le mérite est surtout de ne pas imposer le côté minutieux de cette re-
cherche. Leur facture est grande. Les plus petits sujets s’ennoblissaient
sous le robuste ébauchoir de l’un, devenaient vivants sous le pinceau
sérieux de l’autre. Studieux et chercheurs comme l’étaient ces deux
maîtres, ils firent beaucoup pour connaître à fond le cheval ; mais, mal-
heureusement, de leur temps, la partie théorique de l’étude du mouve-
ment, en dehors des fantaisies permises dans l’art, n’avait tenté aucun
interprète, ainsi que l’étudièrent depuis, scientifiquement et expérimenta-
lement, avec l’autorité de leur nom, MM. Marey, le savant physiologiste,
Raabe, l’érudit professeur écuyer, et Meissonier, comme peintre. Les
connaissances nouvelles, aujourd’hui, font que la nécessité de faire vrai
s’impose aux artistes.
Un des hommes qui a le plus souffert de l’insuffisance de l’enseigne-
ment théorique préconisé par nous est sans contredit Fromentin, artiste
si bien organisé comme poète et comme peintre : je n’en veux pour
preuve que l’aveu sous forme de regret profond qui lui faisait dire que
notre époque, émancipée et sans règle, était le produit d’une instruction
nulle et d’une éducation détestable. Le passage suivant, que nous em-
pruntons à sa correspondance intime, n’explique que trop bien la constata-
tion de cette lacune à propos du cheval. La lettre est du 18 septembre 187/i :
« ... Après avoir beaucoup, mais beaucoup travaillé, je ne suis, moi non
plus, pas content de moi. Je ne suis guère plus avancé qu’avant dans la
connaissance exacte de mon animal. C’est un monde à étudier ; je com-
mence à peine, non pas à le rendre, mais à en comprendre les propor-
tions et, quant à la science des détails les plus nécessaires à la simple
construction, je n’en sais pas le premier mot... Ce que je ne sais pas, je
ne le vois pas. Je rends beaucoup mieux ce que je devine que les choses
que je consulte ».
On remarquera qu’à l’époque où l’artiste, dans sa sincérité, trouve
avec inquiétude que la vraisemblance ne lui suffit plus, il jouissait déjà
d’une grande considération justement méritée : en 187/i, il était offi-
cier de la Légion d’honneur depuis cinq ans; dès 1850, il avait reçu
une deuxième médaille pour des tableaux dans lesquels figuraient des
chevaux. Ce peintre éminent, qui avait vu la nature en poète, se montrait
sévère pour lui-même et, dans la bouche d’un connaisseur aussi délicat,