LES DONATIONS ET LES ACQUISITIONS DU LOUVRE.
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il nous donne toute sa confiance et ne nous considère pas comme de
simples enregistreurs de tableaux. Nous avons à ses yeux des mérites
plus sortables. 11 n’est pas de jour où des visiteurs ne nous arrivent
apportant des toiles, des esquisses, des statuettes, des bronzes, des
ivoires, afin de les soumettre au jugement des conservateurs, comme
s’ils étaient sûrs de trouver au Louvre les appréciations les plus délicates
et les plus raisonnées. Il ferait beau voir alors un conservateur, mal
conseillé par sa prudence, fuir d’aussi flatteuses consultations : de pareils
dérobements rendraient indispensable la ci-devant commission des
acquisitions. Il serait fort imprudent, en effet, de confier Eachat d’œuvres
capitales à un homme incapable d'attribuer sainement telle peinture à
tel artiste, tel tableautin à tel petit maître. Au saut de l’œil, au premier
examen, un juge exercé discerne le caractère, le faire, les types, la com-
position, le dessin, la couleur d’un peintre et si parfois une hésitation
arrête ses regards, sa sentence en sera d’autant plus mûrie, d’autant plus
certaine. Cette pénétration des maîtres, indispensable à tout attaché du
Louvre, peut nous donner devant le public un peu du prestige des divi-
nateurs ; mais cette sorte de seconde vue ne constituerait pas à elle seule
un conservateur parfait. 11 importe d’appliquer aux acquisitions le flair le
plus impeccable, les subtilités d’analyse les plus insaisissables, les finesses
les plus déliées. Il faut savoir répondre aux malcontents comme la
grande Mademoiselle répondit une fois à Christine de Suède. La reine de
Suède assistait un soir, sur les terrasses de Fontainebleau, à un feu d’ar-
tifice tiré en son honneur. Tout à coup des fusées vinrent tomber aux
pieds de Christine. La grande Mademoiselle, effrayée du danger, voulut
entraîner ailleurs la princesse. Mais Christine résista et dit en riant :
« Comment! une demoiselle qui a été aux occasions et qui a fait de si
belles actions a peur? » Alors Mademoiselle : « Je ne suis brave qu’aux
occasions, et c’est assez pour moi. » Les « occasions » d’un conservateur,
ce sont ses acquisitions : elles sont ses meilleurs succès et ses meilleurs
titres de gloire. Pour elles, il emploiera de longues semaines, souvent de
longs mois, à la poursuite, à la découverte, à la négociation d’une pièce
rare, ou d’un morceau du premier ordre. Il sera inquiet, mystérieux
pendant la durée de ses recherches; puis, sitôt un achat conclu, il
retrouvera sa sérénité ordinaire, et n’avouera pas sans une certaine
pointe de coquetterie les difficultés de sa nouvelle conquête.
Ces années dernières, le Louvre a pu s’enrichir de peintures de haut
intérêt. Par deux fois (juillet 1880 et mars 1881), des chefs-d’œuvre d'art
italien, des fresques de Fra Angelico et de Sandro Botticelli furent apportés
de Florence par M. de Tauzia. M. de Tauzia exerçait alors les fonctions
XXIX. — 2* période. 8
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il nous donne toute sa confiance et ne nous considère pas comme de
simples enregistreurs de tableaux. Nous avons à ses yeux des mérites
plus sortables. 11 n’est pas de jour où des visiteurs ne nous arrivent
apportant des toiles, des esquisses, des statuettes, des bronzes, des
ivoires, afin de les soumettre au jugement des conservateurs, comme
s’ils étaient sûrs de trouver au Louvre les appréciations les plus délicates
et les plus raisonnées. Il ferait beau voir alors un conservateur, mal
conseillé par sa prudence, fuir d’aussi flatteuses consultations : de pareils
dérobements rendraient indispensable la ci-devant commission des
acquisitions. Il serait fort imprudent, en effet, de confier Eachat d’œuvres
capitales à un homme incapable d'attribuer sainement telle peinture à
tel artiste, tel tableautin à tel petit maître. Au saut de l’œil, au premier
examen, un juge exercé discerne le caractère, le faire, les types, la com-
position, le dessin, la couleur d’un peintre et si parfois une hésitation
arrête ses regards, sa sentence en sera d’autant plus mûrie, d’autant plus
certaine. Cette pénétration des maîtres, indispensable à tout attaché du
Louvre, peut nous donner devant le public un peu du prestige des divi-
nateurs ; mais cette sorte de seconde vue ne constituerait pas à elle seule
un conservateur parfait. 11 importe d’appliquer aux acquisitions le flair le
plus impeccable, les subtilités d’analyse les plus insaisissables, les finesses
les plus déliées. Il faut savoir répondre aux malcontents comme la
grande Mademoiselle répondit une fois à Christine de Suède. La reine de
Suède assistait un soir, sur les terrasses de Fontainebleau, à un feu d’ar-
tifice tiré en son honneur. Tout à coup des fusées vinrent tomber aux
pieds de Christine. La grande Mademoiselle, effrayée du danger, voulut
entraîner ailleurs la princesse. Mais Christine résista et dit en riant :
« Comment! une demoiselle qui a été aux occasions et qui a fait de si
belles actions a peur? » Alors Mademoiselle : « Je ne suis brave qu’aux
occasions, et c’est assez pour moi. » Les « occasions » d’un conservateur,
ce sont ses acquisitions : elles sont ses meilleurs succès et ses meilleurs
titres de gloire. Pour elles, il emploiera de longues semaines, souvent de
longs mois, à la poursuite, à la découverte, à la négociation d’une pièce
rare, ou d’un morceau du premier ordre. Il sera inquiet, mystérieux
pendant la durée de ses recherches; puis, sitôt un achat conclu, il
retrouvera sa sérénité ordinaire, et n’avouera pas sans une certaine
pointe de coquetterie les difficultés de sa nouvelle conquête.
Ces années dernières, le Louvre a pu s’enrichir de peintures de haut
intérêt. Par deux fois (juillet 1880 et mars 1881), des chefs-d’œuvre d'art
italien, des fresques de Fra Angelico et de Sandro Botticelli furent apportés
de Florence par M. de Tauzia. M. de Tauzia exerçait alors les fonctions
XXIX. — 2* période. 8