LE GLOSSAIRE ARCHÉOLOGIQUE,
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Un de ces préjugés les plus à la mode consiste à représenter nos
aïeux comme des gens fort malpropres. Rien n’est plus inexact, et le
Glossaire donne à ce sujet des textes et des vignettes concluants. Si les
mœurs du moyen âge sont d’une familiarité un peu inquiétante, si les
jeunes châtelaines baignent et « corrovent » les chevaliers avec un zèle
qui n’est pas précisément dans nos habitudes, ces coutumes attestent du
moins de grands soins de propreté. Charles le Téméraire ne manquait
pas d’emporter dans ses campagnes une baignoire d’argent; il eut même
le regret de la perdre au pillage de Granson. Quant au simple bourgeois,
il avait à son usage des bains publics; les règlements des métiers en
donnent le tarif avec le prix de l’étuve, des draps, etc. Les gens à leur
aise faisaient même installer chez eux des baigneries très confortables ;
voulez-vous visiter celle du sieur de Ravestain, à Gand? Le Glossaire en
donne l’inventaire détaillé. La salle, tendue de « toiles blanches pour-
pointées aux armes » du propriétaire, renferme quatre grandes cuves-
baignoires garnies de toile blanche et surmontées d’un grand ciel à
franges « à la façon de Milan », soutenu par des « pommettes dorées ».
Plusieurs tableaux de circonstance décorent la pièce : « un grand tableau
d’une femme nue sur toile ; un autre d’un homme et d’une femme nue ;
un autre de "Vénus (Diane) et Actéon ». Ajoutez deux lits, une chaise,
un dressoir, des bancs pour placer dans les cuves, et vous aurez l’ensemble
du mobilier. Les étuves sont tendues et meublées de même. Voilà, si je
ne me trompe, un arrangement du dernier galant.
J’aurais encore à signaler dans ces deux premiers fascicules des
recherches curieuses ou savantes sur la gravure des camé fis, les carre-
lages émaillés, Y architecture, le commerce, les cartes, les cérémonies,
les corps cle métier, etc., mais la place m’est mesurée et j’en ai dit
assez pour faire comprendre l’intérêt de cet excellent travail. Le livre
commence bien, il est plein de promesses ; les vignettes et les textes
sont choisis avec soin, distribués avec savoir et à-propos ; l’érudition
sûre, discrète, parlant peu d’elle-même pour laisser bavarder les docu-
ments. Rien de plus aride à première vue, rien de plus attrayant pour
qui sait regarder et lire. Ainsi racontée, l’histoire prend un relief
extraordinaire, un accent de vérité saisissant. M. Victor Gay aime pas-
sionnément le moyen âge, mais il l’aime et veut le montrer tel qu’il
est, avec ses contrastes, son luxe et sa misère, sa crédulité et son bon
sens, sa vie nomade et ses mœurs de coin de feu ; la robe de drap d’or,
traînant sur le sol jonché de paille ; l’artiste peignant les coffres et le
maçon bâtissant les cathédrales ; la foi vive et la caricature faisant bon
ménage à l’église ; la rue mal entretenue, la maison haute et sombre,
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Un de ces préjugés les plus à la mode consiste à représenter nos
aïeux comme des gens fort malpropres. Rien n’est plus inexact, et le
Glossaire donne à ce sujet des textes et des vignettes concluants. Si les
mœurs du moyen âge sont d’une familiarité un peu inquiétante, si les
jeunes châtelaines baignent et « corrovent » les chevaliers avec un zèle
qui n’est pas précisément dans nos habitudes, ces coutumes attestent du
moins de grands soins de propreté. Charles le Téméraire ne manquait
pas d’emporter dans ses campagnes une baignoire d’argent; il eut même
le regret de la perdre au pillage de Granson. Quant au simple bourgeois,
il avait à son usage des bains publics; les règlements des métiers en
donnent le tarif avec le prix de l’étuve, des draps, etc. Les gens à leur
aise faisaient même installer chez eux des baigneries très confortables ;
voulez-vous visiter celle du sieur de Ravestain, à Gand? Le Glossaire en
donne l’inventaire détaillé. La salle, tendue de « toiles blanches pour-
pointées aux armes » du propriétaire, renferme quatre grandes cuves-
baignoires garnies de toile blanche et surmontées d’un grand ciel à
franges « à la façon de Milan », soutenu par des « pommettes dorées ».
Plusieurs tableaux de circonstance décorent la pièce : « un grand tableau
d’une femme nue sur toile ; un autre d’un homme et d’une femme nue ;
un autre de "Vénus (Diane) et Actéon ». Ajoutez deux lits, une chaise,
un dressoir, des bancs pour placer dans les cuves, et vous aurez l’ensemble
du mobilier. Les étuves sont tendues et meublées de même. Voilà, si je
ne me trompe, un arrangement du dernier galant.
J’aurais encore à signaler dans ces deux premiers fascicules des
recherches curieuses ou savantes sur la gravure des camé fis, les carre-
lages émaillés, Y architecture, le commerce, les cartes, les cérémonies,
les corps cle métier, etc., mais la place m’est mesurée et j’en ai dit
assez pour faire comprendre l’intérêt de cet excellent travail. Le livre
commence bien, il est plein de promesses ; les vignettes et les textes
sont choisis avec soin, distribués avec savoir et à-propos ; l’érudition
sûre, discrète, parlant peu d’elle-même pour laisser bavarder les docu-
ments. Rien de plus aride à première vue, rien de plus attrayant pour
qui sait regarder et lire. Ainsi racontée, l’histoire prend un relief
extraordinaire, un accent de vérité saisissant. M. Victor Gay aime pas-
sionnément le moyen âge, mais il l’aime et veut le montrer tel qu’il
est, avec ses contrastes, son luxe et sa misère, sa crédulité et son bon
sens, sa vie nomade et ses mœurs de coin de feu ; la robe de drap d’or,
traînant sur le sol jonché de paille ; l’artiste peignant les coffres et le
maçon bâtissant les cathédrales ; la foi vive et la caricature faisant bon
ménage à l’église ; la rue mal entretenue, la maison haute et sombre,