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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
heureusement inspiré, sut-il mieux commenter l’œuvre de Le Sage qu’Eu-
gène Lami l’œuvre de Musset? Ballet excella dans les épisodes de la vie
militaire et se surpassa dans Y Expédition des Portes de fer (ISM). Horace
Vernet, quittant le pinceau pour le crayon, donna, dans Y Histoire de
Napoléon (1839), de Laurent de l’Ardèche, la mesure exacte de son talent
facile et singulièrement ingénieux ; Grandville fut un caricaturiste plutôt
qu’un vignettiste proprement dit; Gustave Doré lui-même, qui est un
maître, se laissa entraîner par son imagination et nous transporta tou-
jours dans la région des rêves. Quel que soit le mérite incontestable des
artistes que nous venons de nommer, quelle que soit leur originalité in-
discutable, Eugène Lami n’en demeure pas moins le maître de la vignette
contemporaine, et il doit occuper au xixe siècle la place que l’on assigne
au xviii6 siècle à Hubert Gravelot. Son talent est très personnel ; il n’a rien
d’épique, rien de pédant ; il est naturel avant tout, et l’ambition de l’artiste
est pleinement satisfaite lorsque, après s’être pénétré du sens véritable
du sujet qu’il a choisi dans l’œuvre qui lui est soumise, il parvient à l’ex-
pliquer clairement et à le faire bien comprendre du public ; il agence avec
art et avec vérité, sans emphase comme sans prétention, les scènes dont
le thème lui est donné par l’écrivain, et il semble être né tout exprès
pour traduire les œuvres littéraires de ses contemporains. Les planches
que nous avons sous les yeux nous fournissent une preuve nouvelle de
cette intelligence ouverte à toutes les émotions poétiques autant qu’aux
réalités de la vie; les aquarelles ne datent pas d’hier; elles furent exécu-
tées vers 1860. Après avoir appartenu à M. Henri Didier, elles sont au-
jourd’hui en la possession de Mlue Denain, qui les apprécie à leur juste
valeur et qui, à la sollicitation de M. Alexandre Dumas, a consenti à les
confier à M. Morgand pour les faire reproduire. Une œuvre de cette valeur
méritait d’être répandue et on ne saurait trop remercier Mme Denain
d’avoir mis à même les amateurs délicats de posséder une série de com-
positions qu’elle avait le droit strict de réserver pour elle seule.
Le jour où M. Morgand eut entre les mains les aquarelles d’Eugène
Lami, il lui fallut étudier les moyens les meilleurs pour mener à bonne
fin l’entreprise qu’il tentait. Appellerait-il à lui plusieurs graveurs de
talent, — et le nombre en est grand de nos jours, — ou confierait-il à
un seul artiste le soin de transporter sur le cuivre les cinquante-huit
aquarelles dont il avait la libre disposition? Dans l’un et dans l’autre cas
il y avait, comme toujours, des avantages et des inconvénients. Charger
plusieurs graveurs de reproduire les aquarelles d’un artiste unique,
c’était courir le risque d’enlever à la suite son unité ; confier ce soin à un
seul, c’était s’exposer à voir traîner en longueur cette publication et à
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
heureusement inspiré, sut-il mieux commenter l’œuvre de Le Sage qu’Eu-
gène Lami l’œuvre de Musset? Ballet excella dans les épisodes de la vie
militaire et se surpassa dans Y Expédition des Portes de fer (ISM). Horace
Vernet, quittant le pinceau pour le crayon, donna, dans Y Histoire de
Napoléon (1839), de Laurent de l’Ardèche, la mesure exacte de son talent
facile et singulièrement ingénieux ; Grandville fut un caricaturiste plutôt
qu’un vignettiste proprement dit; Gustave Doré lui-même, qui est un
maître, se laissa entraîner par son imagination et nous transporta tou-
jours dans la région des rêves. Quel que soit le mérite incontestable des
artistes que nous venons de nommer, quelle que soit leur originalité in-
discutable, Eugène Lami n’en demeure pas moins le maître de la vignette
contemporaine, et il doit occuper au xixe siècle la place que l’on assigne
au xviii6 siècle à Hubert Gravelot. Son talent est très personnel ; il n’a rien
d’épique, rien de pédant ; il est naturel avant tout, et l’ambition de l’artiste
est pleinement satisfaite lorsque, après s’être pénétré du sens véritable
du sujet qu’il a choisi dans l’œuvre qui lui est soumise, il parvient à l’ex-
pliquer clairement et à le faire bien comprendre du public ; il agence avec
art et avec vérité, sans emphase comme sans prétention, les scènes dont
le thème lui est donné par l’écrivain, et il semble être né tout exprès
pour traduire les œuvres littéraires de ses contemporains. Les planches
que nous avons sous les yeux nous fournissent une preuve nouvelle de
cette intelligence ouverte à toutes les émotions poétiques autant qu’aux
réalités de la vie; les aquarelles ne datent pas d’hier; elles furent exécu-
tées vers 1860. Après avoir appartenu à M. Henri Didier, elles sont au-
jourd’hui en la possession de Mlue Denain, qui les apprécie à leur juste
valeur et qui, à la sollicitation de M. Alexandre Dumas, a consenti à les
confier à M. Morgand pour les faire reproduire. Une œuvre de cette valeur
méritait d’être répandue et on ne saurait trop remercier Mme Denain
d’avoir mis à même les amateurs délicats de posséder une série de com-
positions qu’elle avait le droit strict de réserver pour elle seule.
Le jour où M. Morgand eut entre les mains les aquarelles d’Eugène
Lami, il lui fallut étudier les moyens les meilleurs pour mener à bonne
fin l’entreprise qu’il tentait. Appellerait-il à lui plusieurs graveurs de
talent, — et le nombre en est grand de nos jours, — ou confierait-il à
un seul artiste le soin de transporter sur le cuivre les cinquante-huit
aquarelles dont il avait la libre disposition? Dans l’un et dans l’autre cas
il y avait, comme toujours, des avantages et des inconvénients. Charger
plusieurs graveurs de reproduire les aquarelles d’un artiste unique,
c’était courir le risque d’enlever à la suite son unité ; confier ce soin à un
seul, c’était s’exposer à voir traîner en longueur cette publication et à