LE SALON DE 188/j.
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nous. D’autre part, une société évolue, nécessairement, comme un enfant
se forme, sous l’empire de l’éducation. Selon la direction que reçoivent
les hommes nouveaux, leur visées prennent tel ou tel cours ; ils mon-
tent plus ou moins haut et vont plus ou moins loin. De là, dans les pé-
riodes sucessives, des états d’art disparates. Les artistes continuent leur
tâche, et leurs essais témoignent nettement de leur bon vouloir et ré-
pondent au vœu de leurs contemporains. Ce n’est pas leur ambition qui
baisse jamais, c’est l’idéal social. La plus grande école est celle qui, dans
un pays, se développe le plus normalement, en accord avec le caractère
de la nation. Nous est-il prouvé, au demeurant, que nos aïeux ont subi, à
un certain moment, des influences étrangères, pernicieuses durant des
siècles à nos véritables aspirations? Nous ne pouvons faire autrement que
de dénoncer la cause historique du mal.
11 est hors de doute, par exemple, que la Renaissance a mis au jour
un nombre infini de chefs-d’œuvre, que les œuvres du xvne siècle ont
souvent de la grandeur et qu’on trouve aux fantaisies du siècle suivant
une grâce souvent exquise. Toutefois, nul ne saurait contester que
l’intervention des modèles antiques et italiens en France et l’excessive
admiration des renaissants pour l’esprit de l’Italie aient fatalement inter-
rompu le naturel et progressif développement de notre art national du
moyen âge, créé un idéal monarchique arbitraire et trop extérieur, et
jeté l’esprit de nos artistes dans une fausse voie dont nous sortons à
peine. Ainsi nous sommes loin d’aflirmer qu’il ne s’est rien fait de bon
ni de beau durant un laps de trois cents ans; nous saluons, au contraire,
et très hautement, le talent prodigué, mais nous nous ferions scrupule
de taire le long amoindrissement de notre originalité. Jusqu’au xve siècle,
nous avons eu un art plein de santé, de logique, de bonhomie, ne rele-
vant que de notre intime tempérament, en un mot, populaire. Voici
qu’un mauvais vent souffle; on n’y voit plus clair; l’éblouissante royauté
empêche l’Art de distinguer le peuple, lequel travaille obscurément, non
plus écrasé, en fait, que maintenant, mais sans droits définis et sans ga-
ranties. Une longue suite de générations se succèdent et s'ensevelissent,.
Enfin un orage éclate ; tout est balayé ; le centre de gravité social se dé-
place; le peuple s’agite et devient puissant; l’art se remet à s’occuper
de ces humbles qu’il avait oubliés depuis tant d’années ; le mouvement
moderne se rattache, finalement, au mouvement gothique. Au lieu de nous
désoler, réjouissons-nous. Ce n’est pas une révolution qui s’est accom-
plie ; c’est une restauration. Le vieux style académique n’a plus crédit,
mais la réalité se dresse et la hardie sincérité du Français se retrouve.
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nous. D’autre part, une société évolue, nécessairement, comme un enfant
se forme, sous l’empire de l’éducation. Selon la direction que reçoivent
les hommes nouveaux, leur visées prennent tel ou tel cours ; ils mon-
tent plus ou moins haut et vont plus ou moins loin. De là, dans les pé-
riodes sucessives, des états d’art disparates. Les artistes continuent leur
tâche, et leurs essais témoignent nettement de leur bon vouloir et ré-
pondent au vœu de leurs contemporains. Ce n’est pas leur ambition qui
baisse jamais, c’est l’idéal social. La plus grande école est celle qui, dans
un pays, se développe le plus normalement, en accord avec le caractère
de la nation. Nous est-il prouvé, au demeurant, que nos aïeux ont subi, à
un certain moment, des influences étrangères, pernicieuses durant des
siècles à nos véritables aspirations? Nous ne pouvons faire autrement que
de dénoncer la cause historique du mal.
11 est hors de doute, par exemple, que la Renaissance a mis au jour
un nombre infini de chefs-d’œuvre, que les œuvres du xvne siècle ont
souvent de la grandeur et qu’on trouve aux fantaisies du siècle suivant
une grâce souvent exquise. Toutefois, nul ne saurait contester que
l’intervention des modèles antiques et italiens en France et l’excessive
admiration des renaissants pour l’esprit de l’Italie aient fatalement inter-
rompu le naturel et progressif développement de notre art national du
moyen âge, créé un idéal monarchique arbitraire et trop extérieur, et
jeté l’esprit de nos artistes dans une fausse voie dont nous sortons à
peine. Ainsi nous sommes loin d’aflirmer qu’il ne s’est rien fait de bon
ni de beau durant un laps de trois cents ans; nous saluons, au contraire,
et très hautement, le talent prodigué, mais nous nous ferions scrupule
de taire le long amoindrissement de notre originalité. Jusqu’au xve siècle,
nous avons eu un art plein de santé, de logique, de bonhomie, ne rele-
vant que de notre intime tempérament, en un mot, populaire. Voici
qu’un mauvais vent souffle; on n’y voit plus clair; l’éblouissante royauté
empêche l’Art de distinguer le peuple, lequel travaille obscurément, non
plus écrasé, en fait, que maintenant, mais sans droits définis et sans ga-
ranties. Une longue suite de générations se succèdent et s'ensevelissent,.
Enfin un orage éclate ; tout est balayé ; le centre de gravité social se dé-
place; le peuple s’agite et devient puissant; l’art se remet à s’occuper
de ces humbles qu’il avait oubliés depuis tant d’années ; le mouvement
moderne se rattache, finalement, au mouvement gothique. Au lieu de nous
désoler, réjouissons-nous. Ce n’est pas une révolution qui s’est accom-
plie ; c’est une restauration. Le vieux style académique n’a plus crédit,
mais la réalité se dresse et la hardie sincérité du Français se retrouve.