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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
c’est surtout chez les conteurs d’humeur joyeuse et chez le» poètes épi-
ques des Chansons de geste que se retrouve le plus pur du fond français.
Comme ils excellent à montrer dans chacun de leurs héros les qualités
publiques et les qualités domestiques, à faire saillir l’homme sous le
héros et, à son tour, le héros sous l’homme! Comme tous les types sont
précisés finement! Par quelles magnifiques fiertés les géants de l’épopée
rachètent leurs faiblesses ! Us sont si francs, si entiers, si vivants qu’on les
croit voir. On n’oublie jamais l’amour de Roland pour la belle Aulde ; on
aime cette belle Aulde qui mourut de la mort de Roland. Quoi de plus su-
perbe que la scène où Guillaume, fils d’Aimery enfonce sur la tête du
petit Louis, fils de Charlemagne, la lourde couronne impériale qu’on vou-
lait lui arracher? Plus tard, l’empereur Louis oubliera son sauveur dans
la distribution de ses fiefs, et Guillaume au court nez, ayant protesté d’une
voix tonnante à la face de tous, ne daignera accepter de son prince que
la permission de prendre deux villes aux Sarrasins. Plus admirable encore
et plus touchante que la belle Aulde, fiancée du grand vaincu de Ronce-
vaux, est la reine Guiboure, femme du grand vaincu des Aliscans. Toutes
nos légendes nationales abondent en traits de mœurs, de caractère, d’hu-
manité. Le poète s’étend à sa guise ici et là; il invente même, par en-
droits, des contes bleus de colosses ou d’enchanteurs, qu’il nous débite
avec des sourires malicieux embusqués sous ses phrases; il introduit,
ailleurs, dans son récit, des cuisiniers, des bûcherons, des gens du com-
mun ; il dit, en passant, ce qu’il pense des choses et ce qui l’amuse par le
monde ; il est sérieux et narquois et ne refuse nullement de s’égayer et
de nous égayer. Mais voilà que le mot de nature éclate, qui nous replonge
au cœur du drame. 11 est réellement impossible d’imaginer une littéra-
ture, une sculpture, une architecture, une imagerie, un ensemble d’arts
à tendances plus françaises. Laissez à tous ces artistes le loisir de se per-
fectionner; que leurs ressources de métier s’accroissent, et vous verrez
quel merveilleux honneur ils feront à leur pays.
Hélas ! il ne leur sera point permis de parcourir jusqu’au bout leur
noble cycle. Les découvreurs d’antiquité les guettent pour fausser leur
idéal et les Italiens approchent en légion.
II.
Le propre de la Renaissance, c’est l’activité intellectuelle qui se tra-
duit, socialement, par l’élargissement des relations internationales ; mo-
ralement, par le goût des innovations ; esthétiquement, par la recherche
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
c’est surtout chez les conteurs d’humeur joyeuse et chez le» poètes épi-
ques des Chansons de geste que se retrouve le plus pur du fond français.
Comme ils excellent à montrer dans chacun de leurs héros les qualités
publiques et les qualités domestiques, à faire saillir l’homme sous le
héros et, à son tour, le héros sous l’homme! Comme tous les types sont
précisés finement! Par quelles magnifiques fiertés les géants de l’épopée
rachètent leurs faiblesses ! Us sont si francs, si entiers, si vivants qu’on les
croit voir. On n’oublie jamais l’amour de Roland pour la belle Aulde ; on
aime cette belle Aulde qui mourut de la mort de Roland. Quoi de plus su-
perbe que la scène où Guillaume, fils d’Aimery enfonce sur la tête du
petit Louis, fils de Charlemagne, la lourde couronne impériale qu’on vou-
lait lui arracher? Plus tard, l’empereur Louis oubliera son sauveur dans
la distribution de ses fiefs, et Guillaume au court nez, ayant protesté d’une
voix tonnante à la face de tous, ne daignera accepter de son prince que
la permission de prendre deux villes aux Sarrasins. Plus admirable encore
et plus touchante que la belle Aulde, fiancée du grand vaincu de Ronce-
vaux, est la reine Guiboure, femme du grand vaincu des Aliscans. Toutes
nos légendes nationales abondent en traits de mœurs, de caractère, d’hu-
manité. Le poète s’étend à sa guise ici et là; il invente même, par en-
droits, des contes bleus de colosses ou d’enchanteurs, qu’il nous débite
avec des sourires malicieux embusqués sous ses phrases; il introduit,
ailleurs, dans son récit, des cuisiniers, des bûcherons, des gens du com-
mun ; il dit, en passant, ce qu’il pense des choses et ce qui l’amuse par le
monde ; il est sérieux et narquois et ne refuse nullement de s’égayer et
de nous égayer. Mais voilà que le mot de nature éclate, qui nous replonge
au cœur du drame. 11 est réellement impossible d’imaginer une littéra-
ture, une sculpture, une architecture, une imagerie, un ensemble d’arts
à tendances plus françaises. Laissez à tous ces artistes le loisir de se per-
fectionner; que leurs ressources de métier s’accroissent, et vous verrez
quel merveilleux honneur ils feront à leur pays.
Hélas ! il ne leur sera point permis de parcourir jusqu’au bout leur
noble cycle. Les découvreurs d’antiquité les guettent pour fausser leur
idéal et les Italiens approchent en légion.
II.
Le propre de la Renaissance, c’est l’activité intellectuelle qui se tra-
duit, socialement, par l’élargissement des relations internationales ; mo-
ralement, par le goût des innovations ; esthétiquement, par la recherche