LE SALON I)E 18 84-
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ver ce fond rouge laqué qui mure le modèle. Ce n’est vraiment pas la
peine de peindre un bureau de chêne, si réel qu’on serait tenté d’en faire
sonner les âis sous ses doigts, pour recrépir, ensuite, tout le second plan
du tableau d’un ton plat et artificiel.
Je n’avais pas encore vu de M. Albert Besnard des portraits aussi
tranchés que ceux qu’il nous montre aujourd’hui. Le plus intéressant est
celui du peintre-graveur Legros, l’auteur de l’admirable toile 1 ’Ex-voto
du musée de Dijon, représenté, sous son abat-jour de graveur, entouré
d’outils, de flacons d’acide et d’épreuves d’essai, et attaquant à la pointe
sèche une planche de cuivre rouge. Ce grand portrait vigoureux et vivant
a cela de particulier qu'il est exécuté à l’aquarelle et ombré au fusain.
Un pastel librement crayonné du même artiste nous présente un homme
chauve, M. J. Johnston, correspondant ordinaire du Figaro, à Londres,
vu de face et assis devant sa table à écrire, drapé d’un tapis bleu. Je
n’aime guère le bleu criard du tapis, mais qu’importe? Le morceau
est surprenant de solidité. M. Besnard a exposé, en troisième lieu, un
portrait de M. Magnard, rédacteur en chef du Figaro, peint au naturel,
pâle et bien portant, optimiste inquiet, dilettante mélancolique, grison-
nant, de gris vêtu et peint dans son cabinet du journal. Par la porte
entr’ouverte, on voit des vendeurs venant chercher des numéros. Il est
visible que l’ancien lauréat du prix de Borne qu’est M. Besnard s’affran-
chit des liens de l’école et ouvre les yeux à la lumière de notre soleil.
J’aurai tout à l’heure à indiquer certaines réserves sur les panneaux déco-
ratifs destinés à l’Ecole de pharmacie, mais je tiens à constater, avant
tout, qu’il est sur la large route de la vérité et que sa personnalité se
lève.
Que l’on me pardonne de m’étendre ainsi sur les portraits du Salon.
Le portrait est l’une des branches de notre peinture actuelle où s’attestent
les recherches les plus curieuses et où se marque le mieux la tendance de
l’école française. 11 convient de mentionner, avant de passer aux œuvres
décoratives, l’originale fantaisie de M. Richard-le-Roy, qui a portraituré
de dos un jeune homme élégamment vêtu et coiffé d’un chapeau noir,
regardant une marine à l’aquarelle, auprès d’un poêle rougi à blanc. La
ligure, noire sur le fond gris, est traitée comme en trompe-l’œil, mais il y
a vraiment en ce caprice du talent et de l’esprit. Deux petits portraits
fort piquants demandent aussi leur place dans ces notes : celui de M. Ben-
jamin Constant dans son atelier, environné de selles de velours rouge
brodé d’or, d’armes étincelantes, d’ustensiles de cuivre et d’aveuglantes
étoffes, peint par M. Henri Pille, et où l’on aurait envie de voir une sorte
de raillerie de la peinture orientaliste parisienne, et celui, d’une déli-
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ver ce fond rouge laqué qui mure le modèle. Ce n’est vraiment pas la
peine de peindre un bureau de chêne, si réel qu’on serait tenté d’en faire
sonner les âis sous ses doigts, pour recrépir, ensuite, tout le second plan
du tableau d’un ton plat et artificiel.
Je n’avais pas encore vu de M. Albert Besnard des portraits aussi
tranchés que ceux qu’il nous montre aujourd’hui. Le plus intéressant est
celui du peintre-graveur Legros, l’auteur de l’admirable toile 1 ’Ex-voto
du musée de Dijon, représenté, sous son abat-jour de graveur, entouré
d’outils, de flacons d’acide et d’épreuves d’essai, et attaquant à la pointe
sèche une planche de cuivre rouge. Ce grand portrait vigoureux et vivant
a cela de particulier qu'il est exécuté à l’aquarelle et ombré au fusain.
Un pastel librement crayonné du même artiste nous présente un homme
chauve, M. J. Johnston, correspondant ordinaire du Figaro, à Londres,
vu de face et assis devant sa table à écrire, drapé d’un tapis bleu. Je
n’aime guère le bleu criard du tapis, mais qu’importe? Le morceau
est surprenant de solidité. M. Besnard a exposé, en troisième lieu, un
portrait de M. Magnard, rédacteur en chef du Figaro, peint au naturel,
pâle et bien portant, optimiste inquiet, dilettante mélancolique, grison-
nant, de gris vêtu et peint dans son cabinet du journal. Par la porte
entr’ouverte, on voit des vendeurs venant chercher des numéros. Il est
visible que l’ancien lauréat du prix de Borne qu’est M. Besnard s’affran-
chit des liens de l’école et ouvre les yeux à la lumière de notre soleil.
J’aurai tout à l’heure à indiquer certaines réserves sur les panneaux déco-
ratifs destinés à l’Ecole de pharmacie, mais je tiens à constater, avant
tout, qu’il est sur la large route de la vérité et que sa personnalité se
lève.
Que l’on me pardonne de m’étendre ainsi sur les portraits du Salon.
Le portrait est l’une des branches de notre peinture actuelle où s’attestent
les recherches les plus curieuses et où se marque le mieux la tendance de
l’école française. 11 convient de mentionner, avant de passer aux œuvres
décoratives, l’originale fantaisie de M. Richard-le-Roy, qui a portraituré
de dos un jeune homme élégamment vêtu et coiffé d’un chapeau noir,
regardant une marine à l’aquarelle, auprès d’un poêle rougi à blanc. La
ligure, noire sur le fond gris, est traitée comme en trompe-l’œil, mais il y
a vraiment en ce caprice du talent et de l’esprit. Deux petits portraits
fort piquants demandent aussi leur place dans ces notes : celui de M. Ben-
jamin Constant dans son atelier, environné de selles de velours rouge
brodé d’or, d’armes étincelantes, d’ustensiles de cuivre et d’aveuglantes
étoffes, peint par M. Henri Pille, et où l’on aurait envie de voir une sorte
de raillerie de la peinture orientaliste parisienne, et celui, d’une déli-