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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
lion décorative l’empêche de sentir l’école, la rend nouvelle, même
après les fresques de la Farnésine, et très spirituellement propre à
orner un palais mondain d’aujourd’hui. Et cependant, je lui préfère
cent fois encore la nouvelle version de la fable antique que M. Baudry
nous propose maintenant. Il lui a suffi de dégager Éros et Psyché de
cet Olympe plein de scandales; au petit Amour sceptique qui les guet-
tait tout à l’heure il n’a eu qu’à en substituer un autre, relégué dans
un coin, ne levant pas les yeux sur eux, gravement attentif à attiser un
brasier qui tiendra toujours brûlante et pure la flèche unique dont ils
ont été tous deux frappés ; Diane seule apparaît derrière eux, ou plutôt,
non pas Diane elle-même, mais l’orbe plein et lointain de son astre d’ar-
gent; ce n’est guère, et tout est changé. En rendant les deux époux à
leur tête-à-tête ainsi illuminé, M. Baudry est remonté d’instinct et sans
effort jusqu’au symbole grec, tel qu’on le retrouve, deux siècles au moins
avant notre ère, dans les monuments figurés, tel qu’il est sorti tout
entier d’un double sens contenu dans le nom même de Psyché. Psyché,
c’était le nom de l’âme, en grec, et en même temps celui de ces petits pa-
pillons de nuit qui volent éperdôment vers la flamme : en fallait-il davan-
tage aux Grecs, dont le génie plastique ne pouvait se passer de donner
à tout des contours, pour incarner l’âme en une figurine humaine avec
des ailes de papillon? Et à quelle autre flamme que celle de l’amour
Psyché, une fois née de ce poétique jeu de mots, pouvait-elle aller se
brûler? Nous ne sommes pas là en présence d’un mythe primitif comme
les fables des Olympiens ; nous sommes encore bien loin du conte de fées
tel qu’Apulée le déroulera et le brodera ; nous avons encore moins affaire
aux interprétations philosophiques ou mystiques des disciples de Platon
ou des chrétiens : nous voyons seulement comment, même à une époque
tardive et réfléchie, l’imagination grecque était demeurée capable d’expri-
mer ce qui se passe en nous sous des formes qui parlent aux yeux ; le
symbole était alors tout psychologique, tout humain, bien plus simple et
plus délicat qu’il n’est devenu par la suite. Sans aventures comme sans
commentaires, Éros et Psyché n’avaient qu’à se montrer embrassés; on
avait devant soi ce bonheur éternel qui ne saurait être acheté par trop
d’épreuves et qui est le rêve de toutes les vraies amours.
Tels nous les retrouvons aujourd’hui, grâce à M. Baudry, dans sa
toile nouvelle, où la Psyché surtout me paraît une des plus heureuses
créations de son pinceau. Je suis allé revoir celle de Gérard : elle ne dit
rien, elle a les yeux baissés, elle a l’air de chercher dans l’herbe une pâ-
querette à effeuiller, elle va se laisser prendre un baiser au front, en ma-
nière de première cérémonie, par un fiancé que ses parents viennent de
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
lion décorative l’empêche de sentir l’école, la rend nouvelle, même
après les fresques de la Farnésine, et très spirituellement propre à
orner un palais mondain d’aujourd’hui. Et cependant, je lui préfère
cent fois encore la nouvelle version de la fable antique que M. Baudry
nous propose maintenant. Il lui a suffi de dégager Éros et Psyché de
cet Olympe plein de scandales; au petit Amour sceptique qui les guet-
tait tout à l’heure il n’a eu qu’à en substituer un autre, relégué dans
un coin, ne levant pas les yeux sur eux, gravement attentif à attiser un
brasier qui tiendra toujours brûlante et pure la flèche unique dont ils
ont été tous deux frappés ; Diane seule apparaît derrière eux, ou plutôt,
non pas Diane elle-même, mais l’orbe plein et lointain de son astre d’ar-
gent; ce n’est guère, et tout est changé. En rendant les deux époux à
leur tête-à-tête ainsi illuminé, M. Baudry est remonté d’instinct et sans
effort jusqu’au symbole grec, tel qu’on le retrouve, deux siècles au moins
avant notre ère, dans les monuments figurés, tel qu’il est sorti tout
entier d’un double sens contenu dans le nom même de Psyché. Psyché,
c’était le nom de l’âme, en grec, et en même temps celui de ces petits pa-
pillons de nuit qui volent éperdôment vers la flamme : en fallait-il davan-
tage aux Grecs, dont le génie plastique ne pouvait se passer de donner
à tout des contours, pour incarner l’âme en une figurine humaine avec
des ailes de papillon? Et à quelle autre flamme que celle de l’amour
Psyché, une fois née de ce poétique jeu de mots, pouvait-elle aller se
brûler? Nous ne sommes pas là en présence d’un mythe primitif comme
les fables des Olympiens ; nous sommes encore bien loin du conte de fées
tel qu’Apulée le déroulera et le brodera ; nous avons encore moins affaire
aux interprétations philosophiques ou mystiques des disciples de Platon
ou des chrétiens : nous voyons seulement comment, même à une époque
tardive et réfléchie, l’imagination grecque était demeurée capable d’expri-
mer ce qui se passe en nous sous des formes qui parlent aux yeux ; le
symbole était alors tout psychologique, tout humain, bien plus simple et
plus délicat qu’il n’est devenu par la suite. Sans aventures comme sans
commentaires, Éros et Psyché n’avaient qu’à se montrer embrassés; on
avait devant soi ce bonheur éternel qui ne saurait être acheté par trop
d’épreuves et qui est le rêve de toutes les vraies amours.
Tels nous les retrouvons aujourd’hui, grâce à M. Baudry, dans sa
toile nouvelle, où la Psyché surtout me paraît une des plus heureuses
créations de son pinceau. Je suis allé revoir celle de Gérard : elle ne dit
rien, elle a les yeux baissés, elle a l’air de chercher dans l’herbe une pâ-
querette à effeuiller, elle va se laisser prendre un baiser au front, en ma-
nière de première cérémonie, par un fiancé que ses parents viennent de