116
GAZETTE DES BEAUX- A II T S.
elle portait le cierge à l’église de Domrémy », écrit joliment M. Mel-
chior de Vogüé. Les thèmes indiqués, à quelles remarques prête la tra-
duction? M. Mercié n’est pas resté inférieur à son concept lorsqu’il a
composé cette figure de la Royauté, d’allure peut-être gothique, mais
vraiment belle et navrée; par contre, la force d’expansion a été
refusée à l’image de Jeanne; rien n’y extériorise l’état d’âme de la
paysanne hallucinée qui entend des voix; cette insuffisance a si peu
échappé à M. Mercié qu’il a \roulu indiquer par les accessoires ce
que l'évocation humaine n’avait, pas réussi à traduire. Expédient dan-
gereux, inefficace, et dont Rude se garda bien d’user en semblable
occurrence! Tout considéré, la censure d’un modèle n’est jamais irré-
vocable, et la marge estlaissée à M. Mercié de reprendre son projet et
de le modifier, comme a fait M. Paul Dubois. Ceux qui mettront en
parallèle le plâtre reproduit par la Gazette, en 1889, avec le bronze de
1895, concilieront à des variations sans nombre ; elles tendent toutes
à animer l’ensemble du souffle d’une passion commune, età répandre
sur la face de Jeanne l’extase implorante d’une visionnaire. Quand
certains s’élèvent contre le style florentin de la statue, quand ils
la traitent « d’orfèvrerie minutieusement ouvragée », ils oublient la
discipline suivie, la prédominance du visage manifeste ici comme dans
les plus classiques chefs-d’œuvre, ils méconnaissent l’intellectua-
lité intense affichée sur les traits, et qui assure à la Jeanne cl’Arc de
M. Paul Dubois Pincontestable privilège d’une originalité toute fran-
çaise.
Henri de La Rochejaquelein a trouvé dans M. Falguière son
poète. La parole fameuse du généralissime de vingt-deux ans : Si
je recule, luez-moi ; si j'avance, suivez-moi ; si je meurs, Vengez-moi,
n’a pas cessé de hanter M. Falguière pendant qu’il modelait cette
statue toute palpitante de la fièvre de la vie jeune, agissante. Le
redressement de la tète et la chevelure flottante, la main posant
sur le pommeau de l’épée, toute l’attitude dégagée, résolue, expriment
avec force le courage réfléchi, le sacrifice délibérément accepté de
l’existence. Dans cette commémoration heureuse, une part du résul-
tat revient à la fortuite concordance entre l’élan spontané du héros
et l'ardeur du sculpteur. Lorsqu’il cède à l’instinct et ne s’égare
pas hors de son tempérament, M. Falguière est un artiste d’humeur
bien française, parisienne, serait-on tenté de dire, tant l’esprit
et l’entrain distinguent sa manière. Le mouvement, cela va de
soi, n’est pas de commande à tout propos; sans lui, le Christ de
M. Yarenne trouve à intéresser; l’ébauche d’un geste lent suffit à la
GAZETTE DES BEAUX- A II T S.
elle portait le cierge à l’église de Domrémy », écrit joliment M. Mel-
chior de Vogüé. Les thèmes indiqués, à quelles remarques prête la tra-
duction? M. Mercié n’est pas resté inférieur à son concept lorsqu’il a
composé cette figure de la Royauté, d’allure peut-être gothique, mais
vraiment belle et navrée; par contre, la force d’expansion a été
refusée à l’image de Jeanne; rien n’y extériorise l’état d’âme de la
paysanne hallucinée qui entend des voix; cette insuffisance a si peu
échappé à M. Mercié qu’il a \roulu indiquer par les accessoires ce
que l'évocation humaine n’avait, pas réussi à traduire. Expédient dan-
gereux, inefficace, et dont Rude se garda bien d’user en semblable
occurrence! Tout considéré, la censure d’un modèle n’est jamais irré-
vocable, et la marge estlaissée à M. Mercié de reprendre son projet et
de le modifier, comme a fait M. Paul Dubois. Ceux qui mettront en
parallèle le plâtre reproduit par la Gazette, en 1889, avec le bronze de
1895, concilieront à des variations sans nombre ; elles tendent toutes
à animer l’ensemble du souffle d’une passion commune, età répandre
sur la face de Jeanne l’extase implorante d’une visionnaire. Quand
certains s’élèvent contre le style florentin de la statue, quand ils
la traitent « d’orfèvrerie minutieusement ouvragée », ils oublient la
discipline suivie, la prédominance du visage manifeste ici comme dans
les plus classiques chefs-d’œuvre, ils méconnaissent l’intellectua-
lité intense affichée sur les traits, et qui assure à la Jeanne cl’Arc de
M. Paul Dubois Pincontestable privilège d’une originalité toute fran-
çaise.
Henri de La Rochejaquelein a trouvé dans M. Falguière son
poète. La parole fameuse du généralissime de vingt-deux ans : Si
je recule, luez-moi ; si j'avance, suivez-moi ; si je meurs, Vengez-moi,
n’a pas cessé de hanter M. Falguière pendant qu’il modelait cette
statue toute palpitante de la fièvre de la vie jeune, agissante. Le
redressement de la tète et la chevelure flottante, la main posant
sur le pommeau de l’épée, toute l’attitude dégagée, résolue, expriment
avec force le courage réfléchi, le sacrifice délibérément accepté de
l’existence. Dans cette commémoration heureuse, une part du résul-
tat revient à la fortuite concordance entre l’élan spontané du héros
et l'ardeur du sculpteur. Lorsqu’il cède à l’instinct et ne s’égare
pas hors de son tempérament, M. Falguière est un artiste d’humeur
bien française, parisienne, serait-on tenté de dire, tant l’esprit
et l’entrain distinguent sa manière. Le mouvement, cela va de
soi, n’est pas de commande à tout propos; sans lui, le Christ de
M. Yarenne trouve à intéresser; l’ébauche d’un geste lent suffit à la