JEAN-BAPTISTE TLEPOLO ET DOMINIQUE TIEPOLO. 179
Paris, communément les vingt-cinq eaux-fortes de la Fuite en Égypte
de Domenico, plus rarement les Scherzi de Jean-Baptiste son père,
et, de temps à autre, des épreuves à grand format des reproductions
des peintures de Jean-Baptiste par Dominique ou par lui-même. Il en
est entré de fort belles, à un moment, dans les cabinets des collec-
tionneurs. Mais le prix qu’on les payait indiquait suffisamment que
les amateurs étaient fort rares.
En 1852, on put encore avoir la preuve que l’attrait du Tiepolo
n’avait jusque-là gagné que les artistes. A la vente du maréchal
Soult, les directeurs des enchères, Georges, ancien commissaire
expert du Musée du Louvre, et Ferdinand Laneuville, ne firent
pas même à un beau Dominique Tiepolo, œuvre d’une extraordi-
naire fécondité d’imagination et d’une lumière insolente, l’honneur
d’un numéro particulier; et le tableau fut vendu dans le bloc des
toiles omises au catalogue (n° 160). Mais ce fut un artiste de grand
talent, Jean Gigoux, qui en devint l’acquéreur, au prix de quatre
cents francs.
Ces enchères eurent beaucoup d’éclat à cause de la lutte engagée
entre les grands musées d’Europe pour l’acquisition de la Conception
Immaculée de Murillo qui est aujourd’hui au Louvre. Quand le
tableau eut dépassé 600,000 francs, ce qui paraissait alors un prix
énorme, M. de Nieuwerkerke, surintendant des beaux-arts, dit avec
un geste superbe qui allait bien à sa grande taille : « A la France,
messieurs! » — un applaudissement unanime accueillit sa déclaration
et descendit, de la salle où nous étions, dans les escaliers bondés de
monde et jusque dans la rue où une longue queue de curieux atten-
dait avec impatience. Au milieu de cet enthousiasme patriotique,
j’étais probablement le seul, au sortir des enchères, à philosopher
sur la différence du prix marchand de certains Murillo et des'
Tiepolo. Mais, nous l’avons dit, le Tiepolo avait été acquis par un
peintre, et les peintres étaient rares, en ce temps-là, qui achetaient
des tableaux : il y avait compensation.
Depuis, l’influence des deux maîtres vénitiens a été de plus en
plus sensible dans l’école française contemporaine. — Les amateurs
du plein air, luminaristes, impressionnistes, aux sujets et à l’imagi-
nation près, qu'ils l’aient ignoré ou qu’ils l’aient su, se sont déve-
loppés sous leur inspiration. Rénovateurs bien plus que novateurs,
ils n’ont inventé, en réalité, que leurs propres procédés, ce qui est
peu de chose. Et encore, en cherchant bien, ces procédés mêmes sont-
ils bien à eux? J’ai indiqué ailleurs que le Greco les avait presque
Paris, communément les vingt-cinq eaux-fortes de la Fuite en Égypte
de Domenico, plus rarement les Scherzi de Jean-Baptiste son père,
et, de temps à autre, des épreuves à grand format des reproductions
des peintures de Jean-Baptiste par Dominique ou par lui-même. Il en
est entré de fort belles, à un moment, dans les cabinets des collec-
tionneurs. Mais le prix qu’on les payait indiquait suffisamment que
les amateurs étaient fort rares.
En 1852, on put encore avoir la preuve que l’attrait du Tiepolo
n’avait jusque-là gagné que les artistes. A la vente du maréchal
Soult, les directeurs des enchères, Georges, ancien commissaire
expert du Musée du Louvre, et Ferdinand Laneuville, ne firent
pas même à un beau Dominique Tiepolo, œuvre d’une extraordi-
naire fécondité d’imagination et d’une lumière insolente, l’honneur
d’un numéro particulier; et le tableau fut vendu dans le bloc des
toiles omises au catalogue (n° 160). Mais ce fut un artiste de grand
talent, Jean Gigoux, qui en devint l’acquéreur, au prix de quatre
cents francs.
Ces enchères eurent beaucoup d’éclat à cause de la lutte engagée
entre les grands musées d’Europe pour l’acquisition de la Conception
Immaculée de Murillo qui est aujourd’hui au Louvre. Quand le
tableau eut dépassé 600,000 francs, ce qui paraissait alors un prix
énorme, M. de Nieuwerkerke, surintendant des beaux-arts, dit avec
un geste superbe qui allait bien à sa grande taille : « A la France,
messieurs! » — un applaudissement unanime accueillit sa déclaration
et descendit, de la salle où nous étions, dans les escaliers bondés de
monde et jusque dans la rue où une longue queue de curieux atten-
dait avec impatience. Au milieu de cet enthousiasme patriotique,
j’étais probablement le seul, au sortir des enchères, à philosopher
sur la différence du prix marchand de certains Murillo et des'
Tiepolo. Mais, nous l’avons dit, le Tiepolo avait été acquis par un
peintre, et les peintres étaient rares, en ce temps-là, qui achetaient
des tableaux : il y avait compensation.
Depuis, l’influence des deux maîtres vénitiens a été de plus en
plus sensible dans l’école française contemporaine. — Les amateurs
du plein air, luminaristes, impressionnistes, aux sujets et à l’imagi-
nation près, qu'ils l’aient ignoré ou qu’ils l’aient su, se sont déve-
loppés sous leur inspiration. Rénovateurs bien plus que novateurs,
ils n’ont inventé, en réalité, que leurs propres procédés, ce qui est
peu de chose. Et encore, en cherchant bien, ces procédés mêmes sont-
ils bien à eux? J’ai indiqué ailleurs que le Greco les avait presque