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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
dans toute sa force et sa grâce, le peintre que Stendhal « admirait
tant à Saronno », mais trouvait « froid » , tout en aimant « ses figures
célestes..., la grâce tempérée par le calme du caractère1 ».
C’est le Monastero Maggiore qui frappait le souvenir de Yasari.
« Luini, écrivait-il, a peint toute, la grande façade de l'autel avec
diverses histoires ; et pareillement, dans une chapelle, le Christ hattu
à Ja colonne et maintes autres œuvres, qui sont d’un bon style
(ragionevoli)2. »
Et non seulement les saintes et les anges, le Christ et les mar-
tyrs l'ont inspiré dans cette œuvre immense, mais le Monastero
Maggiore demeure plus précieux encore, parce que la vie de son
temps, avec les Bentivoglio, les Sforza, les Besozzi, inspirait à Ber-
nardino Luini des scènes vraies, des figures d'une vie parfaite, en
même temps qu'il composait des créatures idéales. Des bannis, que
chassait hier Bologne révoltée, s’agenouillent devant les saints ; un
drame qui s’est terminé par l’exécution capitale offre, pour sainte
Catherine décapitée, cette comtesse de Collant, dont Bandello conte
l’histoire de sang et de volupté. Le vieux conteur italien terminait
ainsi la nouvelle IVe de son premier livre; après avoir narré les
« effrénés caprices » de Blanche-Marie de Cellant, il disait : « Et qui
désirerait voir son visage peint d'après nature et au vif, qu'il se
rende dans l'église du Monastero Maggiore, et là, dedans l’intérieur,
il la verra peinte !. »
Elle y est peinte, en effet, la femme dont le médiocre Bandello
contait si sèchement l'histoire à Isabelle d'Este, marquise de Man-
toue. La mort nous a donné la date de cette fresque : « Le duc de
Bourbon, dit Bandello, lequel, en ce temps-là, fugitif de France,
était à Milan au nom de l’Empereur... envoya saisir la dame... et
l'infortunée jeune femme fut condamnée à avoir la tête tranchée. »
C'est donc en 1526 que la tragédie se passa. C’est une des « fusées
bien difficiles à démêler4» que Bourbon, lieutenant général de
1. Rome, Naples et Florence, t. I., p. 79-80. En 1838, Balzac, plus clairvoyant
que Stendhal, écrivait : « Je suis allé voir les fresques de Luini à Saronno, et elles
sont dignes de leur réputation. Celle qui représente le Mariage de la Vierge est
d’une suavité particulière. Les figures sont angéliques, et, ce qui est très rare
dans les fresques (?), les tons en sont doux et harmonieux. » (Lettres à l’Etrangère,
p. 479, 24 mai 1838).
2. Vite, éd. Milanesi, t. VI, p. 519-520.
3. Bandello, Novelle, t. I, ch. iv. Torino, 1853, in-12, p. 56-65.
4. Brantôme, Vie des grands capitaines étrangers. Leyde, 1665, p. 212 : Mon-
sieur de Bourbon.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
dans toute sa force et sa grâce, le peintre que Stendhal « admirait
tant à Saronno », mais trouvait « froid » , tout en aimant « ses figures
célestes..., la grâce tempérée par le calme du caractère1 ».
C’est le Monastero Maggiore qui frappait le souvenir de Yasari.
« Luini, écrivait-il, a peint toute, la grande façade de l'autel avec
diverses histoires ; et pareillement, dans une chapelle, le Christ hattu
à Ja colonne et maintes autres œuvres, qui sont d’un bon style
(ragionevoli)2. »
Et non seulement les saintes et les anges, le Christ et les mar-
tyrs l'ont inspiré dans cette œuvre immense, mais le Monastero
Maggiore demeure plus précieux encore, parce que la vie de son
temps, avec les Bentivoglio, les Sforza, les Besozzi, inspirait à Ber-
nardino Luini des scènes vraies, des figures d'une vie parfaite, en
même temps qu'il composait des créatures idéales. Des bannis, que
chassait hier Bologne révoltée, s’agenouillent devant les saints ; un
drame qui s’est terminé par l’exécution capitale offre, pour sainte
Catherine décapitée, cette comtesse de Collant, dont Bandello conte
l’histoire de sang et de volupté. Le vieux conteur italien terminait
ainsi la nouvelle IVe de son premier livre; après avoir narré les
« effrénés caprices » de Blanche-Marie de Cellant, il disait : « Et qui
désirerait voir son visage peint d'après nature et au vif, qu'il se
rende dans l'église du Monastero Maggiore, et là, dedans l’intérieur,
il la verra peinte !. »
Elle y est peinte, en effet, la femme dont le médiocre Bandello
contait si sèchement l'histoire à Isabelle d'Este, marquise de Man-
toue. La mort nous a donné la date de cette fresque : « Le duc de
Bourbon, dit Bandello, lequel, en ce temps-là, fugitif de France,
était à Milan au nom de l’Empereur... envoya saisir la dame... et
l'infortunée jeune femme fut condamnée à avoir la tête tranchée. »
C'est donc en 1526 que la tragédie se passa. C’est une des « fusées
bien difficiles à démêler4» que Bourbon, lieutenant général de
1. Rome, Naples et Florence, t. I., p. 79-80. En 1838, Balzac, plus clairvoyant
que Stendhal, écrivait : « Je suis allé voir les fresques de Luini à Saronno, et elles
sont dignes de leur réputation. Celle qui représente le Mariage de la Vierge est
d’une suavité particulière. Les figures sont angéliques, et, ce qui est très rare
dans les fresques (?), les tons en sont doux et harmonieux. » (Lettres à l’Etrangère,
p. 479, 24 mai 1838).
2. Vite, éd. Milanesi, t. VI, p. 519-520.
3. Bandello, Novelle, t. I, ch. iv. Torino, 1853, in-12, p. 56-65.
4. Brantôme, Vie des grands capitaines étrangers. Leyde, 1665, p. 212 : Mon-
sieur de Bourbon.