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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
que les Flandres, l’esprit nouveau a évidemment eu de la peine à
pénétrer dans ces régions, où il y avait si peu de vie intellectuelle.
La preuve en est dans l’anachronisme, qui est la règle partout ici,
chez le sculpteur Syrlin comme chez le peintre Schaffner.
L’avouerai-je? parfois, abstraction faite du grand style, de l'or-
donnance et peut-être aussi de l’expression dramatique — propres à
Masaccio, à Mantegna et aux sommités du xvi° siècle, — je me suis
demandé ce que les peintres allemands avaient à envier à leurs con-
frères d'Italie. Ils sont coloristes pour le moins autant qu’eux ; ils
ont l’ingénuité et la poésie. Maître Stephan de Cologne peut se
mesurer, mutâtis mutandis, avec Gentile da Fabriano ; Zeitblom
approche de Botticelli ; Wolgemut d’Andrea del Castagno ; Martin
Schoen du Pérugin. Leurs compositions sont aussi écrites ; quant
au coloris, il est, dans l’école d’Ulm, à la fois plus gras, plus velouté
et plus frais que chez les Florentins contemporains. Si ces artistes
n'atteignent pas à l'intensité des Flamands, du moins ont-ils le don
de mettre en leurs œuvres plus d’air, plus de liberté, plus de fantaisie
et plus de douceur. On dirait un compromis entre l’école de Cologne
et l'école de Bruges.
J'ouvre ici une parenthèse pour établir que l’art allemand a
son iconographie à part, qui diffère souvent de celle de Fart fla-
mand et, a fortiori, de celle de Fart italien. C’est ainsi que, vers le
début du xvie siècle, la représentation de la famille maternelle du
Christ (« die heilige Sippe »), jouit d’une grande popularité. Ne
serait-ce point là un prodrome de réforme? Montrer sainte Anne en
compagnie de ses trois époux et sa fille Marie entourée d’une nuée
de neveux et de nièces, de cousins et de cousines, n'est-ce pas dimi-
nuer d’autant la divinité de la mère du Christ1? En tout état de
cause, de telles représentations sont rares en Italie.
Une autre catégorie de peintures, les « Vesperbilder » (scène
qui se passe le soir de la mort de Jésus!, m'a d’abord semblé, elle
aussi, une invention spécifiquement germanique. En réalité, il
s’agit tout simplement de « Pie là2 ».
On remarquera, d’autre part, la persistance des nimbes d’or.
Ils se maintiennent dans les tableaux de l’école d’Ulm jusqu’au début
du xvie siècle, tandis que, dans les Flandres, ils commencent à dis-
paraître dès la première moitié du siècle précédent. Même, dans le
1. Sur l’iconographie des époux de sainte Anne, voy. Male, L'Art religieux
du XIIIe siècle en France, p. 312.
2. Yoy. Pfleiderer, Das Munster in Ulm, p. 82.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
que les Flandres, l’esprit nouveau a évidemment eu de la peine à
pénétrer dans ces régions, où il y avait si peu de vie intellectuelle.
La preuve en est dans l’anachronisme, qui est la règle partout ici,
chez le sculpteur Syrlin comme chez le peintre Schaffner.
L’avouerai-je? parfois, abstraction faite du grand style, de l'or-
donnance et peut-être aussi de l’expression dramatique — propres à
Masaccio, à Mantegna et aux sommités du xvi° siècle, — je me suis
demandé ce que les peintres allemands avaient à envier à leurs con-
frères d'Italie. Ils sont coloristes pour le moins autant qu’eux ; ils
ont l’ingénuité et la poésie. Maître Stephan de Cologne peut se
mesurer, mutâtis mutandis, avec Gentile da Fabriano ; Zeitblom
approche de Botticelli ; Wolgemut d’Andrea del Castagno ; Martin
Schoen du Pérugin. Leurs compositions sont aussi écrites ; quant
au coloris, il est, dans l’école d’Ulm, à la fois plus gras, plus velouté
et plus frais que chez les Florentins contemporains. Si ces artistes
n'atteignent pas à l'intensité des Flamands, du moins ont-ils le don
de mettre en leurs œuvres plus d’air, plus de liberté, plus de fantaisie
et plus de douceur. On dirait un compromis entre l’école de Cologne
et l'école de Bruges.
J'ouvre ici une parenthèse pour établir que l’art allemand a
son iconographie à part, qui diffère souvent de celle de Fart fla-
mand et, a fortiori, de celle de Fart italien. C’est ainsi que, vers le
début du xvie siècle, la représentation de la famille maternelle du
Christ (« die heilige Sippe »), jouit d’une grande popularité. Ne
serait-ce point là un prodrome de réforme? Montrer sainte Anne en
compagnie de ses trois époux et sa fille Marie entourée d’une nuée
de neveux et de nièces, de cousins et de cousines, n'est-ce pas dimi-
nuer d’autant la divinité de la mère du Christ1? En tout état de
cause, de telles représentations sont rares en Italie.
Une autre catégorie de peintures, les « Vesperbilder » (scène
qui se passe le soir de la mort de Jésus!, m'a d’abord semblé, elle
aussi, une invention spécifiquement germanique. En réalité, il
s’agit tout simplement de « Pie là2 ».
On remarquera, d’autre part, la persistance des nimbes d’or.
Ils se maintiennent dans les tableaux de l’école d’Ulm jusqu’au début
du xvie siècle, tandis que, dans les Flandres, ils commencent à dis-
paraître dès la première moitié du siècle précédent. Même, dans le
1. Sur l’iconographie des époux de sainte Anne, voy. Male, L'Art religieux
du XIIIe siècle en France, p. 312.
2. Yoy. Pfleiderer, Das Munster in Ulm, p. 82.