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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
coquetterie, a servi de sortie de bal. Et les joyaux que transforme
en pleurs sanguinolents un rougeoyant jour de lampe nous enflam-
ment d’une admirative pitié pour ces déceptions parées.
Une autre Douloureuse certitude, celle-ci en toilette de jour,
s’accoude au bureau-cylindre marqueté dont Stevens aime à peindre
les camaïeux blonds; son visage se contracte en un pathétique clair-
obscur^ sa robe est d’un gris fer cerclé d’ornements noirs ; son cache-
mire est à fond blanc, son chapeau à bavolets est rose et noir, orné
d’une rose. Et n’est-ce pas, debout auprès du même bureau (dans
la collection A. R...), un a Douloureuse certitude, encore, cette autre
désolée aux cheveux d’or fluide et fin, sous son chapeau havane,
en cachemire aussi, en robe de velours vert à reflets un peu roux,
comme celle de Mmc de Bargeton, née Négrepelisse?
Et dans ces deux tableaux, sur le coquet meuble Louis XVI, une
boîte à cigares ouverte, aux angles blancs, au bois lilassé, est là
pour attester que la scène se passe chez l'infidèle amant, qui a le
tort de laisser traîner ses lettres.
Il n’est pas impossible, en un temps donné, quand toutes les
phases de sa renommée se seront accomplies, que notre peintre soit
dénommé le peintre aux billets, comme il y a eu le peintre aux
œillets, un vieux maître suisse. Des observateurs superficiels ont
reproché aux tableaux d’Alfred Stevens de manquer de sujets, parce
qu’il ne peint ni des batailles, ni des naufrages, en somme aucune
de ces compositions que Baudelaire range dans la catégorie des
« fureurs stationnaires ». Mais l’éternel féminin en proie à sa perpé-
tuelle inquiétude d’amour, composant le billet doux, le disposant,
l’écrivant, l’épiant, le recevant, le froissant, avec toutes les expres-
sions correspondantes dans 1 attitude et les atours qui en ont dicté,
motivé l’émoi, quels plus dramatiques combats, quelles submersions
plus poignantes?
Les cachemires des Indes, joyaux textiles de la femme, hélas à
tout jamais fanés sur les épaules des femmes de Stevens, qui les
reçurent de M,ne Firmiani, avec la manière de s’en servir! Magni-
fiques châles-tapis qui diapraient en effet les charmes féminins
comme un tapis de mille fleurs d’émail, sur lequel les pieds d’Ariel
eussent aimé courir. Stevens fut l’iconographe passionné et patient
de ces émaux cloisonnés de laines. Une grande femme debout en
revêt un. Elle est coiffée d’une de ces capotes à bavolets qui semblent
laides sur les gravures de modes, et dont on voit bien là qu’elles
purent paraître charmantes et encadrer avantageusement des visages
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
coquetterie, a servi de sortie de bal. Et les joyaux que transforme
en pleurs sanguinolents un rougeoyant jour de lampe nous enflam-
ment d’une admirative pitié pour ces déceptions parées.
Une autre Douloureuse certitude, celle-ci en toilette de jour,
s’accoude au bureau-cylindre marqueté dont Stevens aime à peindre
les camaïeux blonds; son visage se contracte en un pathétique clair-
obscur^ sa robe est d’un gris fer cerclé d’ornements noirs ; son cache-
mire est à fond blanc, son chapeau à bavolets est rose et noir, orné
d’une rose. Et n’est-ce pas, debout auprès du même bureau (dans
la collection A. R...), un a Douloureuse certitude, encore, cette autre
désolée aux cheveux d’or fluide et fin, sous son chapeau havane,
en cachemire aussi, en robe de velours vert à reflets un peu roux,
comme celle de Mmc de Bargeton, née Négrepelisse?
Et dans ces deux tableaux, sur le coquet meuble Louis XVI, une
boîte à cigares ouverte, aux angles blancs, au bois lilassé, est là
pour attester que la scène se passe chez l'infidèle amant, qui a le
tort de laisser traîner ses lettres.
Il n’est pas impossible, en un temps donné, quand toutes les
phases de sa renommée se seront accomplies, que notre peintre soit
dénommé le peintre aux billets, comme il y a eu le peintre aux
œillets, un vieux maître suisse. Des observateurs superficiels ont
reproché aux tableaux d’Alfred Stevens de manquer de sujets, parce
qu’il ne peint ni des batailles, ni des naufrages, en somme aucune
de ces compositions que Baudelaire range dans la catégorie des
« fureurs stationnaires ». Mais l’éternel féminin en proie à sa perpé-
tuelle inquiétude d’amour, composant le billet doux, le disposant,
l’écrivant, l’épiant, le recevant, le froissant, avec toutes les expres-
sions correspondantes dans 1 attitude et les atours qui en ont dicté,
motivé l’émoi, quels plus dramatiques combats, quelles submersions
plus poignantes?
Les cachemires des Indes, joyaux textiles de la femme, hélas à
tout jamais fanés sur les épaules des femmes de Stevens, qui les
reçurent de M,ne Firmiani, avec la manière de s’en servir! Magni-
fiques châles-tapis qui diapraient en effet les charmes féminins
comme un tapis de mille fleurs d’émail, sur lequel les pieds d’Ariel
eussent aimé courir. Stevens fut l’iconographe passionné et patient
de ces émaux cloisonnés de laines. Une grande femme debout en
revêt un. Elle est coiffée d’une de ces capotes à bavolets qui semblent
laides sur les gravures de modes, et dont on voit bien là qu’elles
purent paraître charmantes et encadrer avantageusement des visages