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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
même temps qu’un sort ingénieux, qui font ainsi contraster, dans
le même salon, la lourde harpiste lassée, la vive cantatrice insou-
cieuse. Une troisième musicienne est encore au Luxembourg, en
robe gris fer plate, aux ornements noirs, sobre, presque sombre
ajustement de cette Eutcrpe de salon un peu déchevclée et très
pathétique, la bouche grande ouverte en l’essor de ce Chant pas-
sionné qui fait le titre de son poème. Une quatrième appartenait à
Duez, une musicienne muette, assise, en sa robe vert émeraude,
auprès de sa harpe assoupie.
La môme encoignure de laque dont j’ai déjà parlé fleurit sur
son fond noir son décor polychrome et baroque, dans une autre
toile, chez M. Antoni Roux : une femme en rose, savoureusement
reflétée par un paravent d’or. Nul autre, parmi les peintres, n’aura
su, comme Alfred Stevens, babiller une femme de certain rose gris,
rose d'une rose ayant tardé à fleurir, qui a eu froid en éclosant, et
mériterait d’avoir inspiré ce vers pénétrant du vieux d'Aubigné :
Une rose d'automne est plus qu'une autre exquise.
C'est que Stevens est aussi un amoureux des fleurs. Il sait
qu’elles sont les femmes des sous-bois et des parterres, et il a écrit
dans le menu et important recueil de maximes sur son art qu'il
intitule Impressions sur la peinture : « Faire peindre beaucoup de
fleurs à un élève est un excellent enseignement. »
Un vieux compagnon de Stevens, ce paravent décoré de brouet-
tées de fleurs, et dont il avait détaché les feuilles pour composer
jadis la riche tenture d'un boudoir de sa belle installation, rue des
Martyrs. J'y fis un jour, il y a bien longtemps, une visite en com-
pagnie de Sarah Bernhardt ; elle peignait alors, dans l'atelier et
sous la direction du maître, un petit tableau un peu inspiré de
lui : La Jeune fille et la Mort, qui figura au Salon vers 1880, sujet
renouvelé de l’art des Pays-Bas, dont la philosophie, comme celle
des maîtres suisses, aime juxtaposer la fraîcheur et la destruction;
tel ce van der Schoor qui, au Rijksmuseum d’Amsterdam, a réuni sur
le même panneau des crânes et des ossements, des lumières et des
roses. Un autre salon de son ancienne demeure a été reproduit par
Stevens, dans un de ses plus beaux tableaux, qui fait partie de la
collection Yanderbilt. Une jeune femme, nu-tête, en blanc, debout,
appuyée sur un guéridon, reçoit des amies. Et c’est, parmi les
enharmoniques tons de l’or, dont toute la gamme rutile du fauve
au ilave, le radieux et voluptueux chatoiement de ce qu’on a depuis
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même temps qu’un sort ingénieux, qui font ainsi contraster, dans
le même salon, la lourde harpiste lassée, la vive cantatrice insou-
cieuse. Une troisième musicienne est encore au Luxembourg, en
robe gris fer plate, aux ornements noirs, sobre, presque sombre
ajustement de cette Eutcrpe de salon un peu déchevclée et très
pathétique, la bouche grande ouverte en l’essor de ce Chant pas-
sionné qui fait le titre de son poème. Une quatrième appartenait à
Duez, une musicienne muette, assise, en sa robe vert émeraude,
auprès de sa harpe assoupie.
La môme encoignure de laque dont j’ai déjà parlé fleurit sur
son fond noir son décor polychrome et baroque, dans une autre
toile, chez M. Antoni Roux : une femme en rose, savoureusement
reflétée par un paravent d’or. Nul autre, parmi les peintres, n’aura
su, comme Alfred Stevens, babiller une femme de certain rose gris,
rose d'une rose ayant tardé à fleurir, qui a eu froid en éclosant, et
mériterait d’avoir inspiré ce vers pénétrant du vieux d'Aubigné :
Une rose d'automne est plus qu'une autre exquise.
C'est que Stevens est aussi un amoureux des fleurs. Il sait
qu’elles sont les femmes des sous-bois et des parterres, et il a écrit
dans le menu et important recueil de maximes sur son art qu'il
intitule Impressions sur la peinture : « Faire peindre beaucoup de
fleurs à un élève est un excellent enseignement. »
Un vieux compagnon de Stevens, ce paravent décoré de brouet-
tées de fleurs, et dont il avait détaché les feuilles pour composer
jadis la riche tenture d'un boudoir de sa belle installation, rue des
Martyrs. J'y fis un jour, il y a bien longtemps, une visite en com-
pagnie de Sarah Bernhardt ; elle peignait alors, dans l'atelier et
sous la direction du maître, un petit tableau un peu inspiré de
lui : La Jeune fille et la Mort, qui figura au Salon vers 1880, sujet
renouvelé de l’art des Pays-Bas, dont la philosophie, comme celle
des maîtres suisses, aime juxtaposer la fraîcheur et la destruction;
tel ce van der Schoor qui, au Rijksmuseum d’Amsterdam, a réuni sur
le même panneau des crânes et des ossements, des lumières et des
roses. Un autre salon de son ancienne demeure a été reproduit par
Stevens, dans un de ses plus beaux tableaux, qui fait partie de la
collection Yanderbilt. Une jeune femme, nu-tête, en blanc, debout,
appuyée sur un guéridon, reçoit des amies. Et c’est, parmi les
enharmoniques tons de l’or, dont toute la gamme rutile du fauve
au ilave, le radieux et voluptueux chatoiement de ce qu’on a depuis