JOHN RUSKIN
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demeure auguste et familière de la rue de La Rochefoucauld qui
s’appela la maison de Gustave Moreau tant qu’il vécut et qui s’ap-
pelle, depuis qu’il est mort, le Musée Gustave Moreau.
Il y a depuis longtemps un Musée John Ruskin1. Son catalogue
semble un abrégé de tous les arts et de toutes les sciences. Des pho-
tographies de tableaux de maîtres y voisinent avec des collections
de minéraux, comme dans la maison de Goethe.
Comme le Musée Ruskin, l’oeuvre de Ruskin est universelle. Il
chercha la vérité, il trouva la beauté jusque dans les tableaux chrono-
logiques et dans les lois sociales. Mais les logiciens ayant donné des
« Reaux-Arts » une définition qui exclut aussi bien la minéralogie
que l’économie politique, c’est seulement de la partie de l’œuvre de
Ruskin qui concerne les « Reaux-Arts » tels qu’on les entend généra-
lement, de Ruskin esthéticien et critique d’art que j'aurai à parler ici2.
On a dit qu’il était réaliste. Et, en effet, il a souvent répété que
l’artiste devait s’attacher à la pure imitation de la nature, « sans rien
rejeter, sans rien mépriser, sans rien choisir. »
On a dit qu’il était intellectualiste parce qu’il a écrit que le meil-
leur tableau était celui qui renfermait les pensées les plus hautes.
Parlant du groupe d’enfants qui, au premier plan de la Construc-
tion cle Carthage de Turner, s’amusent à faire voguer des petits
bateaux, il concluait : « Le choix exquis de cet épisode, comme
moyen d’indiquer le génie maritime d’où devait sortir la grandeur
future de la nouvelle cité, est une pensée qui n’eût rien perdu à
être écrite, qui n’a rien à faire avec les technicismes de l’art.
Quelques mots l’auraient transmise à l’esprit aussi complètement
que la représentation la plus achevée du pinceau. Une pareille
1. A Sheffîeld.
2. Dans toutes les premières pages de cette étude, comme je ne fais que dis-
cuter des opinions déjà émises sur l’esthétique de Ruskin, j’adopte pour les cita-
tions de ses livres les traductions qu’en ont données Milsand dans L’Esthétique
anglaise, et M. Robert de la Sizeranne dans La Peinture anglaise et dans La Reli-
gion de la Beauté. Mais ensuite, quand je donne sinon une idée, au moins l’im-
pression de ce que je pense de Ruskin, je suis obligé de traduire moi-même les
passages auxquels je me réfère et qui n’avaient point été traduits jusqu’ici. Pour
ce qui est de M. de la Sizeranne, Ruskin a été considéré jusqu’à ce jour et à juste
titre comme son domaine, et si j’essaie parfois de m’aventurer sur ses terres, ce
ne sera certes pas pour méconnaître ou pour usurper son droit, qui n’est pas que
celui du premier occupant. Au moment d’entrer dans ce sujet, que le monu-
ment magnifique qu’il a élevé à Ruskin domine de toute part, je lui devais ainsi
rendre hommage et payer tribut.
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demeure auguste et familière de la rue de La Rochefoucauld qui
s’appela la maison de Gustave Moreau tant qu’il vécut et qui s’ap-
pelle, depuis qu’il est mort, le Musée Gustave Moreau.
Il y a depuis longtemps un Musée John Ruskin1. Son catalogue
semble un abrégé de tous les arts et de toutes les sciences. Des pho-
tographies de tableaux de maîtres y voisinent avec des collections
de minéraux, comme dans la maison de Goethe.
Comme le Musée Ruskin, l’oeuvre de Ruskin est universelle. Il
chercha la vérité, il trouva la beauté jusque dans les tableaux chrono-
logiques et dans les lois sociales. Mais les logiciens ayant donné des
« Reaux-Arts » une définition qui exclut aussi bien la minéralogie
que l’économie politique, c’est seulement de la partie de l’œuvre de
Ruskin qui concerne les « Reaux-Arts » tels qu’on les entend généra-
lement, de Ruskin esthéticien et critique d’art que j'aurai à parler ici2.
On a dit qu’il était réaliste. Et, en effet, il a souvent répété que
l’artiste devait s’attacher à la pure imitation de la nature, « sans rien
rejeter, sans rien mépriser, sans rien choisir. »
On a dit qu’il était intellectualiste parce qu’il a écrit que le meil-
leur tableau était celui qui renfermait les pensées les plus hautes.
Parlant du groupe d’enfants qui, au premier plan de la Construc-
tion cle Carthage de Turner, s’amusent à faire voguer des petits
bateaux, il concluait : « Le choix exquis de cet épisode, comme
moyen d’indiquer le génie maritime d’où devait sortir la grandeur
future de la nouvelle cité, est une pensée qui n’eût rien perdu à
être écrite, qui n’a rien à faire avec les technicismes de l’art.
Quelques mots l’auraient transmise à l’esprit aussi complètement
que la représentation la plus achevée du pinceau. Une pareille
1. A Sheffîeld.
2. Dans toutes les premières pages de cette étude, comme je ne fais que dis-
cuter des opinions déjà émises sur l’esthétique de Ruskin, j’adopte pour les cita-
tions de ses livres les traductions qu’en ont données Milsand dans L’Esthétique
anglaise, et M. Robert de la Sizeranne dans La Peinture anglaise et dans La Reli-
gion de la Beauté. Mais ensuite, quand je donne sinon une idée, au moins l’im-
pression de ce que je pense de Ruskin, je suis obligé de traduire moi-même les
passages auxquels je me réfère et qui n’avaient point été traduits jusqu’ici. Pour
ce qui est de M. de la Sizeranne, Ruskin a été considéré jusqu’à ce jour et à juste
titre comme son domaine, et si j’essaie parfois de m’aventurer sur ses terres, ce
ne sera certes pas pour méconnaître ou pour usurper son droit, qui n’est pas que
celui du premier occupant. Au moment d’entrer dans ce sujet, que le monu-
ment magnifique qu’il a élevé à Ruskin domine de toute part, je lui devais ainsi
rendre hommage et payer tribut.