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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 23.1900

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Nr. 4
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Proust, Marcel: John Ruskin, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.24720#0330

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JOHN RUSKIN

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tout ce qui est pur et précieux, tandis qu’il a réservé aux choses
d’une utilité seulement matérielle ou aux choses nuisibles les
teintes communes. Regardez le cou d’une colombe et comparez-le
au dos gris d’une vipère. Le crocodile est gris, l’innocent lézard est
d'un vert splendide. »

Si l’on a dit qu’il réduisait l’art à n’être que le vassal de la
science, comme il a poussé la théorie de l’œuvre d’art considérée
comme renseignement sur la nature des choses jusqu’à déclarer
qu’ « un Turner en découvre plus sur la nature des roches qu’au-
cune académie n’en saura jamais », et qu’ « un Tintoret n’a qu’à
laiser aller sa main pour révéler sur le jeu des muscles une mul-
titude de vérités qui déjoueront tous les anatomistes de la terre »,
on a dit aussi qu'il humiliait la science devant l’art.

On a dit que c’était un pur esthéticien et que sa seule religion
était celle de la Beauté, parce qu’en effet il l’aima toute sa vie.

Mais, par contre, on a dit que ce n’était même pas un artiste,
parce qu’il faisait intervenir dans son appréciation de la beauté des
considérations peut-être supérieures, mais en tous cas étrangères à
l’esthétique. Le premier chapitre des Sept Lampes de /’Architecture
prescrit à l’architecte de se servir des matériaux les plus précieux
et les plus durables, et fait dériver ce devoir du sacrifice de Jésus,
du XIVe psaume et des conditions permanentes du sacrifice agréable
à Dieu, conditions qu’on n’a pas lieu de considérer comme modi-
fiées, Dieu ne nous ayant pas fait connaître expressément qu'elles
l’eussent été. Et dans les Peintres modernes, pour trancher la ques-
tion de savoir qui a raison des partisans de la couleur et des adeptes
du clair-obscur, voici un de ses arguments : « Regardez l'ensemble
de la nature et comparez généralement les arcs-en-ciel, les levers
de soleil, les roses, les violettes, les papillons, les oiseaux, les pois-
sons rouges, les rubis, les opales, les coraux avec les alligators, les
hippopotames, les requins, les limaces, les ossements, les moisis-
sures, le brouillard et la masse des choses qui corrompent, qui
piquent, qui détruisent, et vous sentirez alors comme la question se
pose entre les coloristes et les clair-obscuristes, lesquels ont la nature
et la vie de leur côté, lesquels ont le péché et la mort. »

Et comme on a dit de Ruskin tant de choses contraires, on en a
conclu qu’il était contradictoire.

De tant d’aspects de la physionomie de Ruskin, celui qui nous
est le plus familier, parce que c’est celui dont nous possédons, si
l’on peut ainsi parler, le plus beau portrait, le plus étudié et le

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3e PÉRIODE.

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