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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
son talent, revint aux dons rapides de sa race lorsqu’il lui fallut
faire face aux multiples travaux qui lui vinrent de sa célébrité pari-
sienne. Il a été, aux jours des ouvertures de Salons, un des triom-
phateurs de Paris, mais il a été aussi, il est impossible d’en douter,
une des victimes de son travail forcé et de sa situation brillante. Il a
terminé la plupart de ses œuvres, non par la pénétration obstinée,
rude, diffîcultueuse de la nature, mais par l’arrangement théâtral et
la facilité d’une manière. Le mouvement de vie, la richesse d’ex-
pression, qu’il affirma tout d’abord, s’affaiblirent lorsqu’ils furent
aux prises avec de grandes œuvres, échouèrent dans des circonstances
qu’il est impossible d’ignorer.
Rappelez-vous, dans les Tableaux de siège de Théophile Gau-
tier, une description d’une statue de la Résistance, modelée en neige
sur un rempart de Paris pendant l’hiver meurtrier de 1870 ! Il
semble que cette énorme figure, bientôt évanouie, fondue en eau et
en boue, soit comme l’emblème des entreprises où voulut se hausser
le fin patricien du Vainqueur au combat de coqs et de Tarcisius,
martyr chrétien.
Souvenez-vous que, vers 1882, Paris assista à une curieuse
expérience. Par une ébauche du sculpteur installée sur le sommet
de l'Arc de triomphe, on tenta de transformer la perspective et le
caractère de l’un des paysages admirés de la ville. Depuis, nous en
avons vu bien d’autres ! Pendant des semaines, des mois, la carcasse
de lattes bourrée de plâtras et de chiffons fut offerte à la contem-
plation et à la critique. On demandait un jugement : il fut défavo-
rable. Il n’était pas difficile de prévoir que le monument ne
comporterait pas ce quadrige conduit par une République, que l’idée
moderne ne pouvait se poser sur ce bloc qui a déjà un passé, qui est
daté comme Notre-Dame et Versailles. Il y eut fatigue des yeux et
de l’esprit à essayer de comprendre l’allure et la signification des
personnages. De loin, on ne distinguait qu’un objet confus posé au
centre de la plate-forme de l’Arc, comme une pendule sur une
cheminée. On s’approchait, et, à chaque pas,, l’ensemble diminuait,
disparaissait. Par contre, quelques révélations de détails : des têtes
de chevaux, des bras de femmes profilés sur le ciel. Puis, ces visions
elles-mêmes comme effondrées. On n’apercevait plus bientôt que
des pattes de chevaux, puis leurs sabots battant l’air. Puis, plus
rien. On pouvait faire le tour de l’Arc de triomphe, la face levée,
les regards au ciel, le cou tordu, sans qu’aucun signe vînt révéler
que là-haut un char roulait, des coursiers galopaient, une Répu-
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son talent, revint aux dons rapides de sa race lorsqu’il lui fallut
faire face aux multiples travaux qui lui vinrent de sa célébrité pari-
sienne. Il a été, aux jours des ouvertures de Salons, un des triom-
phateurs de Paris, mais il a été aussi, il est impossible d’en douter,
une des victimes de son travail forcé et de sa situation brillante. Il a
terminé la plupart de ses œuvres, non par la pénétration obstinée,
rude, diffîcultueuse de la nature, mais par l’arrangement théâtral et
la facilité d’une manière. Le mouvement de vie, la richesse d’ex-
pression, qu’il affirma tout d’abord, s’affaiblirent lorsqu’ils furent
aux prises avec de grandes œuvres, échouèrent dans des circonstances
qu’il est impossible d’ignorer.
Rappelez-vous, dans les Tableaux de siège de Théophile Gau-
tier, une description d’une statue de la Résistance, modelée en neige
sur un rempart de Paris pendant l’hiver meurtrier de 1870 ! Il
semble que cette énorme figure, bientôt évanouie, fondue en eau et
en boue, soit comme l’emblème des entreprises où voulut se hausser
le fin patricien du Vainqueur au combat de coqs et de Tarcisius,
martyr chrétien.
Souvenez-vous que, vers 1882, Paris assista à une curieuse
expérience. Par une ébauche du sculpteur installée sur le sommet
de l'Arc de triomphe, on tenta de transformer la perspective et le
caractère de l’un des paysages admirés de la ville. Depuis, nous en
avons vu bien d’autres ! Pendant des semaines, des mois, la carcasse
de lattes bourrée de plâtras et de chiffons fut offerte à la contem-
plation et à la critique. On demandait un jugement : il fut défavo-
rable. Il n’était pas difficile de prévoir que le monument ne
comporterait pas ce quadrige conduit par une République, que l’idée
moderne ne pouvait se poser sur ce bloc qui a déjà un passé, qui est
daté comme Notre-Dame et Versailles. Il y eut fatigue des yeux et
de l’esprit à essayer de comprendre l’allure et la signification des
personnages. De loin, on ne distinguait qu’un objet confus posé au
centre de la plate-forme de l’Arc, comme une pendule sur une
cheminée. On s’approchait, et, à chaque pas,, l’ensemble diminuait,
disparaissait. Par contre, quelques révélations de détails : des têtes
de chevaux, des bras de femmes profilés sur le ciel. Puis, ces visions
elles-mêmes comme effondrées. On n’apercevait plus bientôt que
des pattes de chevaux, puis leurs sabots battant l’air. Puis, plus
rien. On pouvait faire le tour de l’Arc de triomphe, la face levée,
les regards au ciel, le cou tordu, sans qu’aucun signe vînt révéler
que là-haut un char roulait, des coursiers galopaient, une Répu-