LE SALON DE 1900
507
combien une telle confusion trahit la méconnaissance de ce qui est
du décor. Du moins la petite sculpture n’emporte-t-elle pas le seul
avantage de sa modestie. Elle a servi de transition souvent entre la
statuaire et la bijouterie, et l’on peut croire que c’est aux inventions
charmantes d’un Dampt et d’un Théodore-Rivière autant qu'au génie
rénovateur d’un Lalique qu’est dû le goût récent de maint pétrisseur
de glaise pour les métaux précieux, les émaux et les gemmes. D’où
peut-être aussi quelques-uns de ces grossiers défauts dont on s’at-
triste? Le bijou est une œuvre complexe, et par sa complexité même
et son exiguïté plus rigoureusement tenue qu’aucune autre à l’unité.
Forme, reliefs, nuances, y doivent moduler de subtils accords. C’est
toute une architecture : voyez les chefs-d’œuvre de la Renaissance ;
c’est, de plus en plus, une statuaire ; la perfection des émaux, l’heu-
reuse disposition des pierres, l’ingéniosité des sertissures ne sont de
rien si leurs mouvements, leurs tons se heurtent ou s’assourdissent.
Il y faut une main souple, un rêve plus léger encore. L’artiste est-il
ambitieux ? Il voudra qu’aucune ligne, qu’aucune masse, qu’aucun
éclat ne brisent le rythme du lieu, ne contredisent la toilette et la
chair, le jour ou les lumières, le geste et la pensée. Ne prétend-il
qu’à la sagacité de l’artisan? Qu’il prenne garde encore : c’est un
frisson qu’il pose.
De la contemporaine à la Colombine exquise, pâlie, frêle et
chatouillée de Chéret, à la Parisienne souple, précise, aiguë de
Helleu, à la songeuse lente et enfuie d’Aman-Jean, à la virevoltante
excentrique que Toulouse-Lautrec amenuisa, que d’échanges et de
contre-échanges inconscients ! Et voilà le rêve à fleur de peau à
fleurir, la lyre aux nerfs tendus à pincer d’une agrafe, d’une broche,
d’une harmonique. Comment s’étonner qu’on y atteigne rarement
dès les premiers essais? qu’on semble plutôt s’ingénier à orner des
Tahitiennes de Gauguin ou la Belle de Dovre de Peer Gynt ? Renoncer
au feu des diamants nus, au seul jeu barbare des minéraux est bien.
Après une décadence de deux siècles déjà, l’art du bijou se renou-
velle. Mais la ligne générale reste indécise, découpant maladroite-
ment la médaille, tâtonnant du cercle à la feuille; mais, trop sou-
vent, l’artisan invente sans prévoir la réduction, sculpte où il fau-
drait ciseler, moule sans repentir, épaissit les profils, entasse des
reliefs dont la fantaisie incongrue charge le doigt, risque de le
blesser et toujours l’ankylose ; l’émail pâteux, cireux s’éteint encore
auprès de pierreries mal mariées et brutalement montées ; l’or se
revêt de patines d’atelier ; le mystère des perles s’évanouit si on les
507
combien une telle confusion trahit la méconnaissance de ce qui est
du décor. Du moins la petite sculpture n’emporte-t-elle pas le seul
avantage de sa modestie. Elle a servi de transition souvent entre la
statuaire et la bijouterie, et l’on peut croire que c’est aux inventions
charmantes d’un Dampt et d’un Théodore-Rivière autant qu'au génie
rénovateur d’un Lalique qu’est dû le goût récent de maint pétrisseur
de glaise pour les métaux précieux, les émaux et les gemmes. D’où
peut-être aussi quelques-uns de ces grossiers défauts dont on s’at-
triste? Le bijou est une œuvre complexe, et par sa complexité même
et son exiguïté plus rigoureusement tenue qu’aucune autre à l’unité.
Forme, reliefs, nuances, y doivent moduler de subtils accords. C’est
toute une architecture : voyez les chefs-d’œuvre de la Renaissance ;
c’est, de plus en plus, une statuaire ; la perfection des émaux, l’heu-
reuse disposition des pierres, l’ingéniosité des sertissures ne sont de
rien si leurs mouvements, leurs tons se heurtent ou s’assourdissent.
Il y faut une main souple, un rêve plus léger encore. L’artiste est-il
ambitieux ? Il voudra qu’aucune ligne, qu’aucune masse, qu’aucun
éclat ne brisent le rythme du lieu, ne contredisent la toilette et la
chair, le jour ou les lumières, le geste et la pensée. Ne prétend-il
qu’à la sagacité de l’artisan? Qu’il prenne garde encore : c’est un
frisson qu’il pose.
De la contemporaine à la Colombine exquise, pâlie, frêle et
chatouillée de Chéret, à la Parisienne souple, précise, aiguë de
Helleu, à la songeuse lente et enfuie d’Aman-Jean, à la virevoltante
excentrique que Toulouse-Lautrec amenuisa, que d’échanges et de
contre-échanges inconscients ! Et voilà le rêve à fleur de peau à
fleurir, la lyre aux nerfs tendus à pincer d’une agrafe, d’une broche,
d’une harmonique. Comment s’étonner qu’on y atteigne rarement
dès les premiers essais? qu’on semble plutôt s’ingénier à orner des
Tahitiennes de Gauguin ou la Belle de Dovre de Peer Gynt ? Renoncer
au feu des diamants nus, au seul jeu barbare des minéraux est bien.
Après une décadence de deux siècles déjà, l’art du bijou se renou-
velle. Mais la ligne générale reste indécise, découpant maladroite-
ment la médaille, tâtonnant du cercle à la feuille; mais, trop sou-
vent, l’artisan invente sans prévoir la réduction, sculpte où il fau-
drait ciseler, moule sans repentir, épaissit les profils, entasse des
reliefs dont la fantaisie incongrue charge le doigt, risque de le
blesser et toujours l’ankylose ; l’émail pâteux, cireux s’éteint encore
auprès de pierreries mal mariées et brutalement montées ; l’or se
revêt de patines d’atelier ; le mystère des perles s’évanouit si on les