DOI issue:
Heft 4/5
DOI article:Vlaminck, Maurice de: Lettre sur la peinture
DOI Page / Citation link:https://doi.org/10.11588/diglit.62259#0172
LETTRE SUR LA PEINTURE
La frequentation des musees abätardit la personnalite comme la
frequentation des eures falt perdre la foi. La science tue l’instinct.
Le Douanier Rousseau etait un bonhomme qui avait garde une äme
fraiche d’enfant. Sa maladresse appliquee, sa foi si naive, si inatta-
quable, sa magnifique betise, si l’on peut dire, etait si candide, si in-
genue et ses dons de peintre si evidents, que ses oeuvres en sont
impregnees et atteignent parfois ä la sensible et profonde traduction
des primitifs.
On n’apprend pas ä etre aussi betement genial meine ä Rome.
Cezanne, lui, a tout le benefice dune obstination qui le faisait
s’ecarter de ce qu’il savait, de ce qu’il avait appris et il attaquait les
plus grands problemes dans la tranquillite d’un catholicisme de province.
Visant si haut, il ne parvint qu’ä se rapprocher de la vie. Peut-etre
beaucoup plus qu’il ne se l’imaginait lui-meme. La nature le ramenait
inconsciemment vers une chose humaine. Et quoiqu’il paraisse avoir
beaucoup voyage, il connaissait bien les fleurs de son jardin. A cöte
Renoir, Cezanne “c’est le copain triste’’.
Chez Renoir, il existe tout le goüt du bourgeois, distingue, cultive
et raffine qui aime et entretient dans le luxe la fille du peuple saine et
jolie ... la belle fille. L Art de Renoir est exempt de tares physiques
et de maladies secretes; il s en degage de la joie et du bien etre.
Parfois, meme un mauvais goüt si marque, si personnel, une vulga-
rite qui s’arrete juste ä temps pour ne pas etre desagreable ou banale.
Je pense souvent ä Renoir pour des sensations et des motifs
differents.
J’ai souvent retrouve Renoir dans le cöte mesquin d’un charmant
visage de petite bourgeoise; dans des details precis et rococos, dans
la couleur d’un ruban sur une robe, dans l’amour d’une beaute laide
qui plait, dans une sensualite feminine et un peu animale...
Renoir goütait la saveur des choses et possedait l’amour et la joie
de vivre.
On ne fait pas de la peinture on fait “sa peinture”.
Les groupements sympathiques, les ecoles, les chefs d’ecoles, les
maitres d’ecoles; je n’accepte pas ces pleisanteries. J’accepte les defauts
et les qualites de chacun, mais separement. Une fois unifies, malaxes,
petris, tout cela m’ecoeure... Un groupement denote une faiblesse
individuelle. Quand on considere qu’il faut etre plusieurs pour traverser
un endroit dangereux c’est que l’on a peur d’etre seul...
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La frequentation des musees abätardit la personnalite comme la
frequentation des eures falt perdre la foi. La science tue l’instinct.
Le Douanier Rousseau etait un bonhomme qui avait garde une äme
fraiche d’enfant. Sa maladresse appliquee, sa foi si naive, si inatta-
quable, sa magnifique betise, si l’on peut dire, etait si candide, si in-
genue et ses dons de peintre si evidents, que ses oeuvres en sont
impregnees et atteignent parfois ä la sensible et profonde traduction
des primitifs.
On n’apprend pas ä etre aussi betement genial meine ä Rome.
Cezanne, lui, a tout le benefice dune obstination qui le faisait
s’ecarter de ce qu’il savait, de ce qu’il avait appris et il attaquait les
plus grands problemes dans la tranquillite d’un catholicisme de province.
Visant si haut, il ne parvint qu’ä se rapprocher de la vie. Peut-etre
beaucoup plus qu’il ne se l’imaginait lui-meme. La nature le ramenait
inconsciemment vers une chose humaine. Et quoiqu’il paraisse avoir
beaucoup voyage, il connaissait bien les fleurs de son jardin. A cöte
Renoir, Cezanne “c’est le copain triste’’.
Chez Renoir, il existe tout le goüt du bourgeois, distingue, cultive
et raffine qui aime et entretient dans le luxe la fille du peuple saine et
jolie ... la belle fille. L Art de Renoir est exempt de tares physiques
et de maladies secretes; il s en degage de la joie et du bien etre.
Parfois, meme un mauvais goüt si marque, si personnel, une vulga-
rite qui s’arrete juste ä temps pour ne pas etre desagreable ou banale.
Je pense souvent ä Renoir pour des sensations et des motifs
differents.
J’ai souvent retrouve Renoir dans le cöte mesquin d’un charmant
visage de petite bourgeoise; dans des details precis et rococos, dans
la couleur d’un ruban sur une robe, dans l’amour d’une beaute laide
qui plait, dans une sensualite feminine et un peu animale...
Renoir goütait la saveur des choses et possedait l’amour et la joie
de vivre.
On ne fait pas de la peinture on fait “sa peinture”.
Les groupements sympathiques, les ecoles, les chefs d’ecoles, les
maitres d’ecoles; je n’accepte pas ces pleisanteries. J’accepte les defauts
et les qualites de chacun, mais separement. Une fois unifies, malaxes,
petris, tout cela m’ecoeure... Un groupement denote une faiblesse
individuelle. Quand on considere qu’il faut etre plusieurs pour traverser
un endroit dangereux c’est que l’on a peur d’etre seul...
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