A. L. C. PAGNEST. 7
marteau et un long clou. M. de Pradel commençant de manifester quelque inquiétude, Pagnest
lui dit d'un ton suppliant : « Excusez-moi, Monseigneur, et permettez-moi de compléter ainsi
d'indispensables précautions. » Et, ce disant, d'un coup de marteau il fixa le clou dans le
parquet à l'extrémité antérieure du pied de M. Pradel, de manière à l'empêcher de glisser.
Pagnest est mort sans avoir terminé cet ouvrage. Il n'en reste qu'une douzaine de croquis
entre les mains de M. Jean Gigoux et l'ébauche peinte de la tête, que M., de Pradel conserva
précieusement et qui doit être gardée de même dans sa famille, mais que nous ne connaissons
pas. Je n'ai que le témoignage de Coupin, qui considérait cette ébauche « comme un chef-d'œuvre
tout ensemble de fidélité, de fermeté et de savoir profond ». La mort interrompit également
un autre portrait du plus grand intérêt, celui de la mère du graveur Forster. Je l'ai vu
autrefois. C'est une femme âgée, coiffée d'un bonnet descendant sur le front. Les épaules sont
couvertes d'un fichu noué à la ceinture ; les mains se rejoignent au bout des bras allongés
et tiennent un livre entrouvert pour laisser passer un doigt. Elle est assise dans un fauteuil.
La tète a été peinte en une seule séance par un léger frottis, avec l'habituelle indication de
la couleur par plans, facettes et reflets. Les mains sont d'un admirable dessin. Cette toile est
l'œuvre de dix-neuf séances de quatre ou cinq heures, d'après ce que m'a dit Forster en 1865.
Dans les croquis que possède M. Gigoux, je trouve la trace d'autres projets, notamment :
pour un portrait de maréchal de France dont je n'ai jamais entendu parler ; — pour un portrait
d'abbé, peut-être celui dont M. A. Robaut possède la tète peinte, un superbe morceau ; — pour
un portrait de femme debout ; mais ce dernier nous le connaissons. C'est celui qui appartenait
à M. Carrier et qui est entré en belle compagnie dans le cabinet de M. Rothan. Je le regarde
comme le seul que Pagnest ait achevé après le portrait de M. de Nanteuil. La dame est jeune,
belle, brune, avec le nez aquilin, la bouche fraîche, souriante, forte, de grands yeux bleus, coiffée
à la duchesse de Berri, le chignon haut et les boucles retombant de chaque côté du visage qui
repose sur les quatre rangs d'une large collerette brodée tournant autour du cou et l'encadrant.
Une chaîne d'or à larges maillons plats descend, sur la soie noire du corsage et passe dans la
ceinture. Un manteau de velours vert dont on ne voit qu'un coin et l'opulente fourrure tombe
des épaules sur les bras. M. A. L. Noël, le graveur lithographe qui eut autrefois dans son
atelier une cousine de Pagnest, m'a dit que la dame, dont le buste appartient aujourd'hui à
M. Rothan, était une demoiselle Landolf que M. Carrier croyait chanoinesse d'Écouen.
Je n'ai pas tout dit sur Pagnest; mais j'ai dit l'essentiel. Il mourut le 25 mai d'une maladie
de foie compliquée, dit-on, d'autres accidents, au château de Rosny, où M. de Nanteuil l'avait
recueilli. Je ne crois pas que Pagnest se soit marié, cependant il laissa une fille sinon légitime
au moins reconnue, car j'ai trouvé dans les archives du Louvre la lettre suivante, adressée,
le 28 août 1833, par le Directeur des Musées à l'Intendant général de la Maison du Roi. »
« J'ai l'honneur de recommander à tout l'intérêt de Monsieur l'Intendant général la fille de
feu Pagnest, peintre d'histoire de la plus haute espérance, enlevé trop prématurément aux arts
et dont le Musée possède un magnifique portrait considéré comme l'unique ouvrage de cet
artiste.
« M"u Pagnest se trouve sans aucune ressource depuis la mort de son père et de son aïeule.
La direction du Musée a sollicité chaque année un faible secours en sa faveur, et je prie
Monsieur l'Intendant général de vouloir bien accorder à cette intéressante orpheline, en considé-
ration du talent de son père, une somme de cent francs » — une surcharge en chiffres indique
i5o francs — « qui contribuera à améliorer son malheureux sort. Cette dépense a toujours été
prélevée sur le fonds alloué au budget pour encouragements aux artistes. »
Pagnest était grand, mince, élégant. De ce jeune maître dont le nom vivra dans l'histoire
de l'art pour ses admirables portraits, il n'y a pas un portrait. On sait seulement qu'il figure
assis dans le tableau de Cochereau représentant l'Intérieur de l'atelier de David.
Ernest Ches'neau.
marteau et un long clou. M. de Pradel commençant de manifester quelque inquiétude, Pagnest
lui dit d'un ton suppliant : « Excusez-moi, Monseigneur, et permettez-moi de compléter ainsi
d'indispensables précautions. » Et, ce disant, d'un coup de marteau il fixa le clou dans le
parquet à l'extrémité antérieure du pied de M. Pradel, de manière à l'empêcher de glisser.
Pagnest est mort sans avoir terminé cet ouvrage. Il n'en reste qu'une douzaine de croquis
entre les mains de M. Jean Gigoux et l'ébauche peinte de la tête, que M., de Pradel conserva
précieusement et qui doit être gardée de même dans sa famille, mais que nous ne connaissons
pas. Je n'ai que le témoignage de Coupin, qui considérait cette ébauche « comme un chef-d'œuvre
tout ensemble de fidélité, de fermeté et de savoir profond ». La mort interrompit également
un autre portrait du plus grand intérêt, celui de la mère du graveur Forster. Je l'ai vu
autrefois. C'est une femme âgée, coiffée d'un bonnet descendant sur le front. Les épaules sont
couvertes d'un fichu noué à la ceinture ; les mains se rejoignent au bout des bras allongés
et tiennent un livre entrouvert pour laisser passer un doigt. Elle est assise dans un fauteuil.
La tète a été peinte en une seule séance par un léger frottis, avec l'habituelle indication de
la couleur par plans, facettes et reflets. Les mains sont d'un admirable dessin. Cette toile est
l'œuvre de dix-neuf séances de quatre ou cinq heures, d'après ce que m'a dit Forster en 1865.
Dans les croquis que possède M. Gigoux, je trouve la trace d'autres projets, notamment :
pour un portrait de maréchal de France dont je n'ai jamais entendu parler ; — pour un portrait
d'abbé, peut-être celui dont M. A. Robaut possède la tète peinte, un superbe morceau ; — pour
un portrait de femme debout ; mais ce dernier nous le connaissons. C'est celui qui appartenait
à M. Carrier et qui est entré en belle compagnie dans le cabinet de M. Rothan. Je le regarde
comme le seul que Pagnest ait achevé après le portrait de M. de Nanteuil. La dame est jeune,
belle, brune, avec le nez aquilin, la bouche fraîche, souriante, forte, de grands yeux bleus, coiffée
à la duchesse de Berri, le chignon haut et les boucles retombant de chaque côté du visage qui
repose sur les quatre rangs d'une large collerette brodée tournant autour du cou et l'encadrant.
Une chaîne d'or à larges maillons plats descend, sur la soie noire du corsage et passe dans la
ceinture. Un manteau de velours vert dont on ne voit qu'un coin et l'opulente fourrure tombe
des épaules sur les bras. M. A. L. Noël, le graveur lithographe qui eut autrefois dans son
atelier une cousine de Pagnest, m'a dit que la dame, dont le buste appartient aujourd'hui à
M. Rothan, était une demoiselle Landolf que M. Carrier croyait chanoinesse d'Écouen.
Je n'ai pas tout dit sur Pagnest; mais j'ai dit l'essentiel. Il mourut le 25 mai d'une maladie
de foie compliquée, dit-on, d'autres accidents, au château de Rosny, où M. de Nanteuil l'avait
recueilli. Je ne crois pas que Pagnest se soit marié, cependant il laissa une fille sinon légitime
au moins reconnue, car j'ai trouvé dans les archives du Louvre la lettre suivante, adressée,
le 28 août 1833, par le Directeur des Musées à l'Intendant général de la Maison du Roi. »
« J'ai l'honneur de recommander à tout l'intérêt de Monsieur l'Intendant général la fille de
feu Pagnest, peintre d'histoire de la plus haute espérance, enlevé trop prématurément aux arts
et dont le Musée possède un magnifique portrait considéré comme l'unique ouvrage de cet
artiste.
« M"u Pagnest se trouve sans aucune ressource depuis la mort de son père et de son aïeule.
La direction du Musée a sollicité chaque année un faible secours en sa faveur, et je prie
Monsieur l'Intendant général de vouloir bien accorder à cette intéressante orpheline, en considé-
ration du talent de son père, une somme de cent francs » — une surcharge en chiffres indique
i5o francs — « qui contribuera à améliorer son malheureux sort. Cette dépense a toujours été
prélevée sur le fonds alloué au budget pour encouragements aux artistes. »
Pagnest était grand, mince, élégant. De ce jeune maître dont le nom vivra dans l'histoire
de l'art pour ses admirables portraits, il n'y a pas un portrait. On sait seulement qu'il figure
assis dans le tableau de Cochereau représentant l'Intérieur de l'atelier de David.
Ernest Ches'neau.