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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 8.1882 (Teil 2)

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Heulhard, Arthur: Art dramatique: Comédie-Française: Les Rantzau
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https://doi.org/10.11588/diglit.19459#0055

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4o L'ART.

et naïf de Sedaine. Une mise en scène admirable de vérité, une interprétation qui défie toute
critique, complètent l'illusion et nous donnent la sensation de la réalité la plus absolue. Examinés
au point de vue des lois dramatiques sur l'ordre et le plan des scènes, les Rantzau se signalent
par des vices de construction qui sautent aux yeux : tel détail n'est point à sa place, telle
conversation ne sert de rien à l'action, tel discours répète à satiété la même pensée. On
s'étonne que deux jeunes gens qui ont hérité des pères mille griefs l'un contre l'autre soient
emportés tout à coup par un irrésistible courant d'amour sans avoir échangé la plus petite
confidence. Les brutalités du second acte et les violences de Jean sont un spectacle assez pénible,
et il faut que le préjugé romain, consacrant l'étendue illimitée de l'autorité paternelle, ait encore
des racines bien vivaces dans nos mœurs pour qu'elles aient passé sans encombre. On se souvient
des protestations unanimes que souleva la scène de la Princesse de Bagdad où Nourvady repousse
sur un canapé l'enfant de Lionnette; le mouvement de répulsion fut général : un simple geste de
Nourvady sur le fils d'un étranger avait suffi pour le provoquer. Mais, dans les Rant{au,
MM. Erckmann-Chatrian ont réussi à mener le public à des conséquences devant lesquelles il
avait reculé ailleurs.

Les répétitions d'idées que j'ai notées dans le dialogue embarrassent également la marche de
la pièce : l'exposition, terminée avec la visite de Jacques Rantzau chez M. Florence, recommence
avec la visite de Jean Rantzau, dans une profusion de remarques domestiques qui touchent souvent
à la mesquinerie. En revanche, les scènes capitales sur lesquelles le spectateur avait le droit de
compter d'après les prémisses du drame ne sont même pas effleurées : telle est l'explication des
deux frères. L'effet est laissé à la magie du décor et à l'énergie concentrée du jeu des acteurs.
Pour ma part, je croyais qu'en faisant intervenir le bonhomme Florence dans les querelles des
Rantzau, MM. Erckmann-Chatrian avaient inventé mieux qu'un trait d'union conventionnel entre
les deux familles ; je me disais : « Attendons, le type va se développer, il va fournir des échappées
comiques à Coquelin : cette nature douce et craintive, tenue à égale distance de Jean et de
Jacques par les cadeaux du premier acte, sommée tour à tour par Jacques et par Jean de se
décider pour l'un des deux camps, va subir des défections amusantes, et puis, il aura des coups
de tête imprévus, le contraste sera piquant. » Il n'en est pas ainsi, et c'est un enragé sermon-
neur que ce bon Florence, parfois plus ennuyeux que l'ennuyeux Thiberge. Les belles situations
des troisième et quatrième actes arrivent à temps pour décider de la victoire, juste à ce moment
psychologique où Napoléon 1er faisait donner la garde.

Aucuns trouvent le style des Rantzau peu digne du temple de Molière et de Racine : certes
la langue dramatique de MM. Erckmann-Chatrian ne se targue point d'élégance et de pureté,
elle a de grandes indulgences pour elle-même et un laisser-aller qui choquera parnassiens et
normaliens. MM. Erckmann-Chatrian répondront que leurs Rantzau ne descendent point de ce
maréchal de Rantzau qui put connaître les ruelles et les précieuses, et que leurs héros sont de
simples paysans alsaciens du village des Chaumes.

Le qualificatif qui convient à l'interprétation des Rantzau ne se trouve pas en ce moment
sous ma plume : admirable ne me satisfait pas, prodigieux me paraît faible, et jamais je n'ai
trouvé moins de force à merveilleux. Cette interprétation, c'est l'expression même de Fart français
et de la Comédie-Française dans ce qu'ils ont de plus brillant et de plus pur : au premier plan,
Got, dans Jean Rantzau, et Coquelin dans M. Florence. De Got, tout a été dit. Quant à
Coquelin, il abordait les Régnier : Régnier n'eût pas mieux joué. Worms a lancé en grand
comédien la tirade de Georges au quatrième acte. Maubant, sacrifié dans la distribution, représente
dignement Jacques Rantzau. Mlle Bartet est exquise et touchante dans le rôle de Louise.

M. Perrin a monté les Rant{au en grand artiste, et chaque soir quand on croit rappeler Got
et Coquelin, quand on croit acclamer MM. Erckmann-Chatrian, c'est quelquefois M. Perrin
lui-même qu'on acclame et qu'on rappelle.

Arthur Heulhaiïd.

Le Directeur-Gérant : EUGÈNE VER ON.
 
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