Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

L' art: revue hebdomadaire illustrée — 12.1886 (Teil 1)

DOI Artikel:
Gehuzac, Noël: Collections contemporaines, [1]: les Barye de M. Auguste Sichel
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.19705#0117

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
96

L'ART.

libres et délicats travaux de l'ébauchoir dans l'émousse-
ment du tirage, des épreuves vous laissant indécis, si elles
- ne sont pas tirées à cire perdue, et pareilles à la réduction
du Lion au serpent des Tuileries, de I'Eléphant écrasant
un tigre et des deux Jeunes lions.

Puis, pour la beauté des épreuves, gardons-nous d'ou-
blier la qualité des patines avec leurs lueurs de pierre dure
sur le lisse des surfaces sombres, et ces patines si diverses
et si variées, se levant avec le temps et le frottement de
dessous la patine vert-de-grisée un peu compacte, un peu
uniforme adoptée par le fondeur : patine vert glauque de
mer, patine à la nuance de bronze florentin, patine noi-
râtre jouant la patine des vieilles médailles, et surtout une
patine brune dont le fauve est transpercé comme d'un
rouge de rouille, et telle qu'on la voit dans le Jaguar
debout.

Mais voulez-vous mieux que des phrases, une preuve
matérielle de la beauté des épreuves,— une preuve à la
façon des épreuves avant la lettre, des épreuves de premier
état d'une collection d'estampes, — vous l'avez ici donnée
par le poinçon du Maître. C'est ainsi que par les numéros
poinçonnés, frappés au marteau, au-dessous de la signa-
ture Barye, vous rencontrerez dans cette vente une
vingtième épreuve de FOurs couché; ■—■ une seizième
épreuve de Thésée et le Minotaure ; —■ deux neuvièmes
épreuves de I'Epagneul en arrêt sur un lapin et du
Braque en arrêt sur un faisan; —deux huitièmes épreuves
du Cerf de Virginie et de la Petite biche couchée; —■
deux deuxièmes épreuves du Serpent python avalant une
biche et du Lévrier couché; — deux premières épreuves
du Taureau terrassé par un ours et du Taureau cabré.

A côté de ces épreuves hors ligne, de ces miracles de
la fonte 1, comptez aussi les raretés, les desiderata, les
petites curiosités parmi lesquelles je ne veux citer que le
Milon de Crotone dévore par un lion, la médaille exécutée
par Barye en 181g pour le concours de la gravure en
médaille, et où déjà apparaît le dessinateur du lion — une
rareté découverte au fond d'une vieille caisse de débris et
de scories de bronze dans la vente de Eck et Durand — et
dont il n'existe peut-être en tout qu'un double à l'Ecole
des Beaux-Arts.

Les petites merveilles que toutes ces figurations de
bêtes non seulement rendues avec les solides montants ou
les fines nervures des pattes, les saillies et le jeu dans
l'échine des osselets de l'épine dorsale, les rugosités et les
flaccidités de la peau, les courants du pelage, le poil
floconneux du dromadaire, la soie hirsute du sanglier,
l'enveloppe cuirassée du pachyderme, le revêtement squa-
meux de l'alligator, enfin avec la connaissance la plus
étendue du détail local, particulier, mais le dirai-je avec
quelque chose de plus encore, avec la physionomie morale,
avec un peu de l'âme des frères inférieurs de l'homme — le
Maître, en ces œuvres qui n'ont souvent que le format d'un
presse-papier, montrant la passivité sereine des éléphants,
l'intelligence espiègle des jeunes chiens, les fureurs cabrio-
lantes des taureaux, les effarements peureux des lièvres, la
mélancolie des biches couchées, le cou paresseusement

allongé à terre! Oh! la robuste et puissante création ! Oh!
le surprenant bestiaire que ce petit monde de bronzes
pouvant tenir sur des étagères !

Mais avant tout Barye est le Maître des Fauves, des
Féroces, des Félins. C'est lui qui, un certain jour de sa
vie, rejetant de son talent toutes les réminiscences des
lions assyriens, ninivites, byzantins, s'est fait l'artiste natu-
riste, modelant, mesurant, sans trêve et sans repos, les
féroces dans leurs cages du Jardin des Plantes; et c'est lui
qui, le premier, a surpris les palpitations de leurs flancs,
les reniflements de leurs naseaux, le roulis sous-cutané des
muscles carrés, en cette marche apaisée, où les os et les
nerfs semblent flotter dans une peau trop large — et c'est
encore lui le premier, qui a forcé la dureté résistante des
métaux à rendre l'élasticité bondissante de ces animaux
qu'habitent la Destruction et le Carnage.

Ici, arrêtons-nous un moment devant le Jaguar dévo-
rant un lièvre.

Le jaguar, le poitrail sorti de terre, est accroupi sur ses
pattes de derrière, le ventre entré dans le sol. Arcbouté
sur la patte gauche, dont la large tête de l'humérus fait
saillie au-dessus de la ligne serpentante et effacée et retrai-
tée de tout le corps, il fouille d'un mufle à l'aplatissement
presque vipérin, les entrailles d'un lièvre, il fouille le cou
tout sillonné d'énormes gonflements. Le rampement famé-
lique, l'avalement de la croupe mamelonnée de puissantes
contractions nerveuses, le repliement des deux pattes de
derrière rassemblées, écrasées sous la bête, la tranquillité
du dos où la peau un peu relâchée se plisse sur les côtés,
le dénouement de la queue où persiste dans la torsion du
bout comme un reste de force colère, les terribles fronce-
ments de la face, l'ampleur des mâchoires en joie, le rabat-
tement des petites oreilles tressautantes, le travail de la
robe, travail sans relief, travail de rayures couchées dans
le sens des poils, le grand dessin des raccourcis, la savante
opposition des parties de musculatures au repos qu'on
dirait somnolentes, et des parties de musculatures en
action — comme inquiètes et encore éveillées : tout ce
surprenant mélange de détente et de ramassement de
vigueur animale, font de ce bronze une de ces imitations
de la nature vivante, au delà de laquelle la sculpture ne
peut aller. Oui, en vérité, « ce jaguar dévorant un lièvre »
est la parfaite représentation chez les grands félins de la
succion jouisseuse, de la volupté gourmande du sang!

Et devant ce chef-d'œuvre, en dépit des légendes et des
racontars des sculpteurs de l'Ecole normale sur les che-
vaux de Calamis, sur les vaches de Miron, sur le fameux
« chien de bronze se léchant une plaie », et qu'on gardait
dans le temple de Junon, — en dépit, il faut l'avouer, de
la beauté réaliste de la panthère en marbre noir, cataloguée
autrefois sous le n° 3i5, au Vatican — devant ce chef-
d'œuvre de l'animalier des animaliers, disons-le haute-
ment, si la sculpture de l'humanité est, hors de tout
conteste, supérieure chez les anciens, la sculpture de
l'animalité en aucun temps, en aucun lieu, n'a atteint la
perfection que lui a apportée le français du xixe siècle,
Antoine-Louis Barye.

Ce que M. de Concourt a eu à cœur de faire pour la collection des Barye, M. Henry
Havard a tenu à le dire avec des accents de la plus sincère, de la plus cordiale émotion, à
propos des objets d'art et d'ameublement, tableaux anciens, miniatures, aquarelles et dessins,
dont M. Sichel va se séparer également.

i. Charles Blanc dit : « Barye excellait dans l'art de composer les fontes, de les jeter en moule, de les reparer. Il s'entendait mieux
que personne à faire disparaître, par la ciselure, les accidents du moulage, les traces de la coulée, à purger le métal des croûtes que
peut y laisser le contact de la fonte avec le sable. Il savait aussi à merveille modeler en vue du bronze : cela veut dire mettre à profit la
densité et la légèreté du métal... Cela veut dire aussi prévoir la couleur que donneront les évidements, et profiter de l'extrême finesse de
grain que présente le bronze, pour serrer l'exécution, affirmer les plans, acérer les arêtes, creuser plus vivement les sillons, pousser jusqu'au
bout la rigueur des formes, le rendu, le fini. »
 
Annotationen