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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 12.1886 (Teil 1)

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Champfleury: La caricature au Japon, [2]
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https://doi.org/10.11588/diglit.19705#0177

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l52

L'ART.

qui, pour faire bien comprendre la nature de ce peuple, Combien serait satisfait le dieu Crépitus des vives détona-

forçait quelque peu son expression, tions qui annoncent le premier engagement avec ses

En effet, ces êtres incapables, à s'en rapporter au
dessinateur, d'autres réflexions que celles amenées par la
convoitise des fruits étalés, se rapprochent plus de l'ani-
mal que de l'homme. Darwin, en voyant ces planches,
eût constaté l'étroitesse du trait d'union qui relie le singe
à l'homme et semble faire de celui-ci un descendant direct
de celui-là. La faute d'un tel rapprochement est due au
peintre qui a représenté en charge ses personnages, peut-
être pour enlever de la réalité au drame et le rendre
moins grossier. Les actes auxquels se livrent ces inter-
médiaires dans l'échelle des êtres paraissent sans doute
ainsi plus grotesques aux yeux des Japonais.

La nourriture que vont prendre les convives est un
excitant au combat qui se prépare ; ces aulx, ces poivres,

curieux épisodes ! Ici, un nègre, accroupi à quatre pattes
pour se battre plus vaillamment, envoie une telle succes-
sion de projectiles à ses adversaires -qu'il renverse une
porte dont un assiégé se servait comme d'un bouclier;
là, des feux croisés s'entremêlent, qui enlèvent dans
les airs les chapeaux des meilleurs soldats. Certaines
armes font long feu et l'action est terrible de cette poudre
empestée. Un des combattants apporte une si vive concen-
tration dans ses efforts qu'une torche de résine meurtrière
s'échappe de ses flancs, décrivant d'effroyables paraboles.
Eole, crevant sa vieille outre et secouant ses tempêtes sur
la tête des pauvres humains, n'arriverait pas à un pareil
résultat. La trombe renverse tout sur son passage et fait
voler dans l'espace meubles, corbeilles, boîtes, éventails.

font penser aux matières fulminantes contenues dans les On pense, en voyant cette guerre acharnée, aux com-

gargousses que des artilleurs introduisent dans les canons, > bats homériques, aux luttes de Gargantua ; aussi faudrait-il

b

avec cette différence toutefois qu'un travail latent se fait
dans l'êstomac et que les gaz qui en résultent n'auront
besoin ni d'amorce ni de feu.

D'autres motifs du même makêmonos ont trait à des

un Rabelais pour analyser cette composition tempétueuse.
Lui seul, dans la vieille Europe, aurait qualité pour
marquer les coups produits par de si vigoureuses explo-
sions.

lutteurs se soumettant par avance à une sorte d'entraîné- Je conviens toutefois que les dessins qui se succèdent

ment ; l'effet des aulx et des poivres n'ayant pas d'action j sur le rouleau laissent plus de stupéfaction que de véritable

sur les papilles de leur estomac trop bronzé, il faut de , contentement pour les yeux. Si on éprouve quelque fatigue

violents efforts, des mouvements de reins, des poses i à lire les énumérations licencieuses de Rabelais, au moins

extranaturelles, des bouches hermétiquement pincées pour I sont-elles un jeu de linguistique très déliée de ce grave et

refouler l'air dans le conduit supérieur du tube digestif et j bouffon esprit. Ici, le Japonais qui a voulu faire preuve

produire les résultats qu'on devine. d'imagination scatographique se sert de personnages d'un

Les peintres japonais sont passés maîtres dans ces con- ordre tout particulier et de race inférieure,

torsions; sans efforts, ils savent rattacher les attitudes II se produit même à ce sujet un rapprochement que

excentriques aux poses normales de certaines parties du ne manqueront pas de voir les érudits quelque peu fami-

corps ; ils ont l'art de faire paraître vraies leurs fantasques liers avec l'art antique. Lorsqu'un personnage bouffon se

exagérations, et c'est à l'aide de la sommaire calligraphie glisse au milieu des élégantes figurines de Tanagra, c'est

dont je parlais qu'ils arrivent à rendre leur dessin outré un être disgracié de la nature, la figure décharnée, souvent

mais logique. la poitrine rentrant ou le dos affligé d'une gibbosité. Ces

Un autre groupe du rouleau est une preuve de la grotes- j personnages grotesques égayaient les repas des Grecs et

que et fertile imagination qui caractérise les Japonais. Parmi des Romains, comme plus tard les fous et les nains à la

les lutteurs au cœur vaillant, disposés à combattre éner- > cour des rois. Il semble qu'il en soit ainsi au Japon ; les

giquement, il en est qui constatent à regret que, malgré ! acteurs qui se succèdent dans le rouleau, loin d'offrir

leurs efforts, ils manquent d'engins d'attaque. Semblables l'harmonie corporelle des figures des albums populaires,

à des artificiers qui apporteraient un matériel mouillé, ils \ ne présentent que têtes hors de proportions, ventres mala-

possèdent les fusées et pas de munitions. Désireux difs, jambes grêles ; on regarde un moment par curiosité

toutefois de prendre part à l'action qui va s'engager, ils ces êtres dégradés, mais ils laissent une impression triste

font remplir par des mercenaires un sac de ces gaz dont | et quasi morbide.

chaque combattant doit être muni ; au moins leur cartou- En regard de cet art qui fait penser aux bouffons du

chière ne restera pas vide. festin de Trimalcion, on cherche si, malgré un fonds de

C'est alors que ces valeureux adversaires se dirigent ■ naïveté intellectuelle, les Japonais des hautes classes ne

vers le lieu du combat où déjà des détonations se font i seraient pas blasés sur bien des plaisirs. La rénovation

entendre. Tenant à la main l'outre précieuse dont quelques ■ sociale que tente ce peuple n'est-elle pas due à la consta-

gaz déliés cherchent une fissure, certains combattants se tation d'une décadence qui pèse fatalement sur les nations

sont protégé le nez par un mouchoir énergiquement serré j les mieux douées ?

qui atténue la délicatesse de l'odorat. (La fin prochainement.) Champfleury.

Crapaud fantastique,
d'après Hokou-Saï.
 
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