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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 12.1886 (Teil 1)

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Gauthiez, Pierre: La montagne et le paysage
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https://doi.org/10.11588/diglit.19705#0206

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178 L'ART.

une parlante signature; c'étaient des courbes enlacées, des montagnes d'azur, des fleuves aux
fuyants replis ; mais la nature seule et simple, vide de la présence humaine, prise pour sa
propre beauté, n'est point encore figurée.

Avec la Renaissance, la forme humaine, dans sa force et dans sa splendeur, reproduite par
Michel-Ange ou Raphaël, par Giorgione ou Andréa del Sarto, prend l'art tout entier, règne seule.
Vinci nous montre, derrière le sourire de sa Joconde1, un paysage dans le goût et le style des
primitifs ; sa Vierge aux rochers s'encadre dans un paysage baigné de clair-obscur 2 ; mais c'est,
comme dans les madones de Raphaël, comme dans les apothéoses du Titien ou du Tintoret,
comme dans les « Loggie » de Rome, un pur décor; c'est quelquefois aussi, chez les maîtres
qui ont souci d'exprimer les états de l'âme, de mêler l'esprit à la forme, un complément d'ex-
pression, une autre note à leur pensée.

Gêné si longtemps par le bâillon des dogmes mystiques, muré durant des siècles dans les
croyances ennemies de la chair et de la beauté, sevré des spectacles païens et naturels, l'art de
la Renaissance, redevenu libre et joyeux, se jette passionnément et s'absorbe dans l'extase de la
forme humaine, dans le culte exclusif du corps. L'anatomie donne au dessin la rigueur et la
sûreté ; les sciences aident le génie ; l'inspiration est rajeunie au souffle purement humain des
littératures antiques : partout, savants, poètes, philosophes, montrent à l'artiste, au centre de
l'univers, la terre; au centre de la nature terrestre, l'homme. Tout s'agite autour de l'homme :
tout s'efface devant lui seul.

Salvator Rosa peint ses tragiques visions; le Poussin, ses rêves majesteux et mélancoliques;
le Lorrain baigne ses campagnes de la puissante lumière qu'il a puisée aux cieux italiens ; moins
classiques encore, plus éloignés de la conception de la Renaissance, et déjà en marche vers
l'avenir, des peintres jetés sous un ciel inclément, mais souple de tons et divers d'aspects, dans
un pays où le climat rend impossibles l'amour et l'étude du nu, peignent enfin le paysage dans
sa vérité : Ruisdael y met toute l'austère et grandiose poésie des pays battus par le flot rude,
tachés d'un soleil incertain ; Hobbéma répand sur ses pages rustiques une lumière de cristal,
aussi fluide que l'air même. Mais il n'y a point là, encore, l'intensité de l'impression, parfois
outrée chez les modernes, l'effort passionné pour mêler l'âme de l'artiste à la grande âme
naturelle.

L'heure de la complète communion de l'homme avec la nature vient enfin : il faut des
secousses profondes, un torrent confus d'idées neuves, de sensations inconnues, extrêmes; il faut
cette crise, d'où sort la poésie renouvelée, et qui mettra, dans la peinture, au premier rang
le paysage.

C'est notre siècle qui commence cette lutte et qui l'achève. Jamais, auparavant, pareille
ardeur de pénétrer et d'exprimer, dans leur grandeur, les choses qui sont hors de l'homme, les
aspects sans nombre du monde qui entoure l'être pensant et voyant, et qui le façonne. A travers
les tâtonnements de la fin du xvme siècle, les faux pas du romantisme, les réactions des écoles
routinières, la révolution se prépare, se poursuit et s'accomplit:i. Les préjugés sont vaincus, l'œil
se transforme et s'imprègne de vérité, les routines cèdent, la mode change : le paysage prend
son rang, qui est le premier, dans un temps où la beauté plastique est rare, où le tableau tourne
au portrait, où le corps vient se résumer dans le visage. L'homme, maître de sa pensée, veut
embrasser cette nature dont il émane; il sent un plaisir profond à saisir les changeants aspects
de ce monde qui l'environne ; un attrait confus le sollicite à revenir vers les impressions des
anciens âges primitifs, à mesure qu'il sent en lui l'idée s'affiner, et l'esprit devenir plus ferme et
plus libre, mais aussi se lasser son âme. Le public n'est plus rebelle au simple paysage : il aime
ces scènes, comprend ces sujets moins parlants. M. Poirier s'est fait à la pensée que l'on peut

i. Cf. Pater, Tlic Renaissance. Londres, Macmillan.
■2. Voir aussi la Sainte Anne (n° 5g).

3. Le Louvre possède enfin, depuis les achats récents (1873) et le don généreux de M. Lionel Constable (1877), quelques toiles où nous
pouvons commencer à suivre l'effort de Constable « pour sortir de 0 l'ornière des paysagistes anciens », pour devenir cet initiateur glorieux
qui laissait Géricault « tout étourdi » de la contemplation d'une de ses toiles. (Lettres d'Eug. Delacroix, éd. Burty, tome II, page igS.) Il nous
est impossible de juger Turner, à Paris ; cette lacune regrettable durera-t-elle encore longtemps dans nos Musées si pauvres toujours en
œuvres de l'Ecole anglaise, malgré les dons multipliés de l'Art ?
 
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