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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 12.1886 (Teil 1)

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Jullien, Adolphe: Richard Wagner & son "Lohengrin"
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https://doi.org/10.11588/diglit.19705#0250

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2l8

L'ART

Il connaissait depuis longtemps la légende du Chevalier au Cygne, il l'avait lue à Paris en
même temps que celle de Tannhœuser et il ne l'avait pas goûtée davantage : il la rangeait dans
un genre artificiel, celui des poèmes romantico-chrétiens, mais, quand il l'examina de plus près, au
moment d'abandonner les Maîtres Chanteurs, il reconnut dans Lohengrin un mythe antérieur au
christianisme et dont le point de départ était, non pas dans le surnaturel, mais dans le cœur
même de la femme ; il s'en éprit dès lors autant qu'il l'aimait peu auparavant. Comme il le dit
lui-même, il puisa le courage d'entreprendre un nouvel ouvrage où il pousserait encore en avant
et se détacherait de plus en plus des opéras courants, précisément dans le sentiment qu'il avait
de son complet isolement en face d'un public rebelle, puisque l'aide qu'il avait pensé trouver
auprès d'un souverain intelligent venait de lui échapper. Cela marquait chez lui une tournure
d'esprit bien étrange, mais aussi une ténacité rare et une disposition particulière à réfléter dans
ses héros les impressions mêmes de son cœur. Quand-il avait composé le Vaisseau fantôme, il
soupirait lui-même après la femme idéale, après la patrie absente, souveraine réparatrice de tous
les maux soufferts, ainsi que le Hollandais, ballotté sur la mer immense, soupire après la femme

qui doit le racheter de la damnation éternelle ; en écri-
vant Tannhœuser, il avait symbolisé la lutte qui venait
de s'élever dans son cœur et dont il était sorti vainqueur,
comme son héros, en sacrifiant les plaisirs charnels à la
douce jouissance de la conscience satisfaite et de l'idéal
entrevu ; dans Lohengrin, il allait s'élever plus haut
dans- les régions éthérées, vers les cimes radieuses, tou-
jours comme son héros, alors que tout le monde et le
public, et la presse, et ses amis s'efforçaient de le faire
redescendre à leur niveau. « En vérité, dit-il, Lohengrin
est une apparition entièrement nouvelle ; elle ne pouvait
surgir en aucun autre temps que celui-ci, et seulement
des dispositions d'esprit et de l'intuition que pouvait avoir
de la vie un artiste qui, s'étant trouvé précisément dans
ma position, en fût arrivé au point de son développement
où j'en étais du mien, quand ce sujet m'apparut comme
la tâche nécessaire qui s'imposait à moi'. » En d'autres
termes, il composa Lohengrin et s'éleva du coup au
chef-d'œuvre absolu, absolu selon les idées qu'il avait
Maison natale de Richard Wagner, a Leipzig. alors, parce qu'il y était invinciblement poussé par une

force mystérieuse, en dépit de toutes les attaques ou
remontrances, et qu'il ne pouvait pas faire autrement que d'obéir à ce démon intérieur.

Wagner disposa les situations et caressa les principaux motifs musicaux de son drame pendant
l'hiver suivant, si bien qu'il put en commencer la musique au mois de septembre 1846, tandis
qu'il était en villégiature à Grosgraufen, près de la résidence royale de Pilnitz. De même que
pour le Vaisseau fantôme, il avait, d'instinct, commencé par la ballade de Senta, qui devint le
pivot musical de la partition; de même, et cette fois de propos délibéré, il entama Lohengrin
par le troisième acte et composa d'abord le récit du Saint-Graal, sur lequel il voulait bâtir tout
son ouvrage. Il montrait beaucoup de cœur au travail et s'absorbait si fort dans la composition
de Lohengrin, qu'il rêvait de s'isoler du monde afin d'obtenir le recueillement nécessaire :
aussi pendant l'été de 1847 se ménagea-t-il une solitude absolue au vieux palais Mariolini, de
façon qu'il put terminer l'introduction dès le 28 août ; il employa l'hiver et le printemps qui
suivirent à tout instrumenter. C'était quelque chose assurément que d'avoir achevé sa partition ;
mais il restait à la faire paraître, à la faire représenter. Or, ni l'éditeur Meser, qui avait publié
sans profit ses trois premiers opéras, ni l'intendant royal, qui les avait montés, ne paraissaient
disposés à se mettre encore en frais. Si bien que les bons amis de l'auteur allaient répétant que

1. Richard Wagner d'après lui-même, par M. Georges Noufflard, page 2i5.
 
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