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DE VALLADOLID AU GUADARRAMA.
maille qu'il doit à ses deux églises. Ces monuments, faits en briques,
semblent de loin sortis d'hier du cerveau d'un contemporain de
Vitruve. La plus grande de ces églises est vraiment majestueuse. Son
chevet présente la superposition d'une double arcature cintrée, fort
haute, imitant des baies de fenêtre; puis au-dessus d'autres baies
carrées fermées également. Le sanctuaire est éclairé par des larmiers
pratiqués au quatrième étage de cette surélévation bizarre. L'autre
édifice offre le même genre de construction, avec des rubans de bri-
ques interposés à des moellons. C'est tout à fait une bâtisse qu'en
termes d'art on appelle grand appareil.
De Mojados la route se rapproche des collines, suit leur direction,
sans cesser d'être plane et belle; puis elle descend sur Puente de
Mediana, ravin au fond duquel gronde une rivière rapide encaissée par
de hautes collines boisées, conséquemment pittoresques. Après un trajet
d'environ trois lieues depuis Mojados, on arrive dans une plaine fertile
qu'arrose l'Adaja et l'Eresma; plaine où le blé, l'orge, l'avoine, la
vigne se confondent, moyennant un système de culture bien entendu.
Nous nous étions assoupis, quand un de ces cahos auxquels le dor-
meur le plus intrépide ne résisterait pas nous tira de notre somnolence.
Le ciel, d'abord étoilé, était devenu sombre; on ne distinguait presque
rien autour de soi; mais tout à coup deux nuages s'écartent, et la
lune laissant tomber ses rayons perpendiculaires, nous offre une des
images fantastiques que l'on rêve après la lecture d'Ossian. Le cadavre
d'une ville venait d'apparaitre, et douze siècles semblaient debout
autour d'elle pour lui préparer son tombeau. Heureusement, cette
inhumation sera longue encore; des siècles nouveaux n'en rapproche-
ront guère le terme, et la ville d'Olmédo, avant de se coucher d'une
manière définitive dans son linceul de pierre, verra passer bien des
générations autour d'elle. Sur ces murailles démantelées, sur ces tours
qui montrent avec un orgueilleux mépris les profondes blessures que
leur a faites le temps, et qui ne sont qu'un coup d'épingle dans l'épaule
d'Hercule, il me semblait voir l'ombre de Juan II, de Enrique IV, de
tous les intrépides lutteurs du quinzième siècle, raconter leurs faits
d'armes à la population paisible qu'abritent trois cents maisons, cinq
églises, deux hôpitaux, groupés irrégulièrement au milieu des ruines.
DE VALLADOLID AU GUADARRAMA.
maille qu'il doit à ses deux églises. Ces monuments, faits en briques,
semblent de loin sortis d'hier du cerveau d'un contemporain de
Vitruve. La plus grande de ces églises est vraiment majestueuse. Son
chevet présente la superposition d'une double arcature cintrée, fort
haute, imitant des baies de fenêtre; puis au-dessus d'autres baies
carrées fermées également. Le sanctuaire est éclairé par des larmiers
pratiqués au quatrième étage de cette surélévation bizarre. L'autre
édifice offre le même genre de construction, avec des rubans de bri-
ques interposés à des moellons. C'est tout à fait une bâtisse qu'en
termes d'art on appelle grand appareil.
De Mojados la route se rapproche des collines, suit leur direction,
sans cesser d'être plane et belle; puis elle descend sur Puente de
Mediana, ravin au fond duquel gronde une rivière rapide encaissée par
de hautes collines boisées, conséquemment pittoresques. Après un trajet
d'environ trois lieues depuis Mojados, on arrive dans une plaine fertile
qu'arrose l'Adaja et l'Eresma; plaine où le blé, l'orge, l'avoine, la
vigne se confondent, moyennant un système de culture bien entendu.
Nous nous étions assoupis, quand un de ces cahos auxquels le dor-
meur le plus intrépide ne résisterait pas nous tira de notre somnolence.
Le ciel, d'abord étoilé, était devenu sombre; on ne distinguait presque
rien autour de soi; mais tout à coup deux nuages s'écartent, et la
lune laissant tomber ses rayons perpendiculaires, nous offre une des
images fantastiques que l'on rêve après la lecture d'Ossian. Le cadavre
d'une ville venait d'apparaitre, et douze siècles semblaient debout
autour d'elle pour lui préparer son tombeau. Heureusement, cette
inhumation sera longue encore; des siècles nouveaux n'en rapproche-
ront guère le terme, et la ville d'Olmédo, avant de se coucher d'une
manière définitive dans son linceul de pierre, verra passer bien des
générations autour d'elle. Sur ces murailles démantelées, sur ces tours
qui montrent avec un orgueilleux mépris les profondes blessures que
leur a faites le temps, et qui ne sont qu'un coup d'épingle dans l'épaule
d'Hercule, il me semblait voir l'ombre de Juan II, de Enrique IV, de
tous les intrépides lutteurs du quinzième siècle, raconter leurs faits
d'armes à la population paisible qu'abritent trois cents maisons, cinq
églises, deux hôpitaux, groupés irrégulièrement au milieu des ruines.