LES NUITS D'ESPAGNE. 273
Tout citoyen qui ne va ni au spectacle, ni à la promenade, ni dans
quelque tertulia, passe au café une partie de sa soirée. On y prend des
glaces, inférieures aux glaces françaises, sorbetes au limone, au manté-
cao, au melocotone, mais rarement préparées d'une autre manière; on y
boit des verres d'eau glacée dans lesquels viennent se dissoudre des
azucarillos, gâteaux de sucre spongieux très-légers, blancs ou roses; on
y prend aussi passablement de café, du thé et même de la bière.
Les théâtres s'ouvrent tard, le plus tôt à sept heures et demie, et se
ferment généralement vers onze heures. On y est d'une manière assez
commode, dans des stalles qu'ils appellent lunettes, toutes numérotées,
et qu'il faut payer en outre du droit d'entrée. Ces lunettes ne sont oc-
cupées que par les hommes. Les femmes se placent obliquement au de-
vant des loges dont il existe assez ordinairement quatre rangs; et, comme
elles n'assistent guère au spectacle que pour entendre la musique ou
voir ce qui se passe dans la salle, la moitié des places de ces loges se
trouve à contre-sens de la scène. En faisant à l'éventail sa part, aux
colloques intimes la leur, aux préoccupations personnelles une autre
part passablement large, personne ne sera surpris qu'une femme du
monde assiste, sans ennui, vingt fois de suite à la même représentation ;
aussi les théâtres italiens ne donnent-ils que cinq ou six pièces chaque
année.
Il est un autre genre de spectacle très-divertissant; c'est celui des bals
donnés par les maîtres de ballets, dans certaines grandes villes, comme
Grenade, Séville, Malaga, Valence, Madrid. Ils ont ordinairement lieu
une foisla semaine. On y voit exécuter toutes les danses nationales; mais
l'étranger devra payer d'un dourp les témoignages de distinction que
lui donnent ces filles de l'air et de l'amour, élégamment chaussées,
coiffées, peignées, vêtues de la basquine, et faisant leurs évolutions cho-
régraphiques, tantôt seules, tantôt accompagnées d'un partner en cos-
tume de mojo.
Les Espagnols se lèvent très-tard. Je ne vois cependant pas trop ce qu'ils
peuvent faire au lit, car ils y sont durement couchés, comme de vrais
Spartiates, sur un matelas de l'épaisseur d'une main, recouvrant une
paillasse serrée que soutient un plancher. A ces lattes juxtaposées, cer-
tains sybarites ont substitué un fond sanglé, sans oser s'élever encore
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Tout citoyen qui ne va ni au spectacle, ni à la promenade, ni dans
quelque tertulia, passe au café une partie de sa soirée. On y prend des
glaces, inférieures aux glaces françaises, sorbetes au limone, au manté-
cao, au melocotone, mais rarement préparées d'une autre manière; on y
boit des verres d'eau glacée dans lesquels viennent se dissoudre des
azucarillos, gâteaux de sucre spongieux très-légers, blancs ou roses; on
y prend aussi passablement de café, du thé et même de la bière.
Les théâtres s'ouvrent tard, le plus tôt à sept heures et demie, et se
ferment généralement vers onze heures. On y est d'une manière assez
commode, dans des stalles qu'ils appellent lunettes, toutes numérotées,
et qu'il faut payer en outre du droit d'entrée. Ces lunettes ne sont oc-
cupées que par les hommes. Les femmes se placent obliquement au de-
vant des loges dont il existe assez ordinairement quatre rangs; et, comme
elles n'assistent guère au spectacle que pour entendre la musique ou
voir ce qui se passe dans la salle, la moitié des places de ces loges se
trouve à contre-sens de la scène. En faisant à l'éventail sa part, aux
colloques intimes la leur, aux préoccupations personnelles une autre
part passablement large, personne ne sera surpris qu'une femme du
monde assiste, sans ennui, vingt fois de suite à la même représentation ;
aussi les théâtres italiens ne donnent-ils que cinq ou six pièces chaque
année.
Il est un autre genre de spectacle très-divertissant; c'est celui des bals
donnés par les maîtres de ballets, dans certaines grandes villes, comme
Grenade, Séville, Malaga, Valence, Madrid. Ils ont ordinairement lieu
une foisla semaine. On y voit exécuter toutes les danses nationales; mais
l'étranger devra payer d'un dourp les témoignages de distinction que
lui donnent ces filles de l'air et de l'amour, élégamment chaussées,
coiffées, peignées, vêtues de la basquine, et faisant leurs évolutions cho-
régraphiques, tantôt seules, tantôt accompagnées d'un partner en cos-
tume de mojo.
Les Espagnols se lèvent très-tard. Je ne vois cependant pas trop ce qu'ils
peuvent faire au lit, car ils y sont durement couchés, comme de vrais
Spartiates, sur un matelas de l'épaisseur d'une main, recouvrant une
paillasse serrée que soutient un plancher. A ces lattes juxtaposées, cer-
tains sybarites ont substitué un fond sanglé, sans oser s'élever encore
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