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LA MORT.
ciscaius' ; mais Milton n'avait pas nos croyances : d'ailleurs la conduite
qu'il a tenue dans le cours de sa vie ne donne aucun poids aux témoi-
gnages moraux que peut offrir sa muse.
Cette coutume pieuse, inoffensive, respectable même pour ceux qui
la repousseraient comme inutile, n'a pu résister aux coups de la philo-
sophie, qui a détrôné tant de puissances morales sans rien mettre à leur
place, et devient chaque jour moins commune. Il en est ainsi de l'habitude
qu'avaient autrefois les parents, les amis, d'envoyer pendant trois jours,
dans la famille d'une personne décédée, la nourriture toute préparée
dont cette famille pouvait avoir besoin, parce qu'on ne supposait pas
possible de se distraire de sa douleur pour s'occuper des choses de
la vie. Fort souvent les amphitryons accompagnaient le menu pour y
joindre des paroles consolantes ou des distractions paisibles; usage tout
à fait sentimental qui se retrouve encore dans les campagnes, gardiennes
plus scrupuleuses que les villes des traditions primitives.
Quant au cercueil, c'est quelque chose d'élégant et de coquet. Modi-
fiez-en la forme, qui, sans être disgracieuse, ressemble un peu trop à ce
que sont nos tombes, et vous aurez une corbeille de noces, un berceau
de nouveau-né, un coffret de luxe; vous l'aurez garni de velours ou
de soie, orné de galons d'or ou d'argent, avec une profusion de fleurs,
odorantes au point de réveiller le mort et de changer, s'il lui reste
quelque imperceptible sensibilité, sa crise finale en une crise de nerfs.
Dans certaines villes, le char funèbre m'a rappelé le palanquin de la
princesse Pauline Borghèse, et les chevaux, au lieu de ressembler aux
chevaux du char d'Hippolyte, semblaient aller gaiement vers une de-
meure privilégiée. C'est qu'en effet le lieu de rendez-vous, le champ du
repos, véritable frontispice de l'autre monde, n'a rien que de fort
agréable : un vaste jardin anglais, de l'ombre, de la verdure, de l'eau,
les choses précisément les plus recherchées en Espagne, se trouvent aux
limites de la vie, comme un avant-goût de la fraîcheur éternelle. Dans
bien des cimetières, et je demande pardon aux Espagnols d'employer ce
1 And they who tobc sure of paradise,
Dying put on the weeds of Dominic.
Or in Franciscan think to pass disguis'd.
Paradise lost, liv. 2.
LA MORT.
ciscaius' ; mais Milton n'avait pas nos croyances : d'ailleurs la conduite
qu'il a tenue dans le cours de sa vie ne donne aucun poids aux témoi-
gnages moraux que peut offrir sa muse.
Cette coutume pieuse, inoffensive, respectable même pour ceux qui
la repousseraient comme inutile, n'a pu résister aux coups de la philo-
sophie, qui a détrôné tant de puissances morales sans rien mettre à leur
place, et devient chaque jour moins commune. Il en est ainsi de l'habitude
qu'avaient autrefois les parents, les amis, d'envoyer pendant trois jours,
dans la famille d'une personne décédée, la nourriture toute préparée
dont cette famille pouvait avoir besoin, parce qu'on ne supposait pas
possible de se distraire de sa douleur pour s'occuper des choses de
la vie. Fort souvent les amphitryons accompagnaient le menu pour y
joindre des paroles consolantes ou des distractions paisibles; usage tout
à fait sentimental qui se retrouve encore dans les campagnes, gardiennes
plus scrupuleuses que les villes des traditions primitives.
Quant au cercueil, c'est quelque chose d'élégant et de coquet. Modi-
fiez-en la forme, qui, sans être disgracieuse, ressemble un peu trop à ce
que sont nos tombes, et vous aurez une corbeille de noces, un berceau
de nouveau-né, un coffret de luxe; vous l'aurez garni de velours ou
de soie, orné de galons d'or ou d'argent, avec une profusion de fleurs,
odorantes au point de réveiller le mort et de changer, s'il lui reste
quelque imperceptible sensibilité, sa crise finale en une crise de nerfs.
Dans certaines villes, le char funèbre m'a rappelé le palanquin de la
princesse Pauline Borghèse, et les chevaux, au lieu de ressembler aux
chevaux du char d'Hippolyte, semblaient aller gaiement vers une de-
meure privilégiée. C'est qu'en effet le lieu de rendez-vous, le champ du
repos, véritable frontispice de l'autre monde, n'a rien que de fort
agréable : un vaste jardin anglais, de l'ombre, de la verdure, de l'eau,
les choses précisément les plus recherchées en Espagne, se trouvent aux
limites de la vie, comme un avant-goût de la fraîcheur éternelle. Dans
bien des cimetières, et je demande pardon aux Espagnols d'employer ce
1 And they who tobc sure of paradise,
Dying put on the weeds of Dominic.
Or in Franciscan think to pass disguis'd.
Paradise lost, liv. 2.