VOYAGE EN ESPAGNE.
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n'ont presque jamais rencontré d'artistes dignes d'eux. Yelazquez, sé-
duit par les magnifiques ombrages du parc, par l'élégance des jardins
et les jets d'eau qui servent à les abreuver, prit soin de les immor-
taliser. Il les peignit d'une manière idéale plutôt que naturelle; mais
dans cette idéalité même se reconnaît la conception et la touche du
grand maître. Le parc d'Aranjuez , très-étendu, embrasse autour de la
ville un périmètre d'une dizaine de lieues. Il est entremêlé de maisons
de campagne, résidences d'été des seigneurs de la cour, et d'une foule
de jardins qui fournissent Madrid de ces melons magnifiques, de ces
fraises savoureuses et de ces excellents légumes qu'on y trouve en aussi
grande abondance que dans le Nord. Il faut une journée pour bien voir
le parc, les jardins, la ville et le château; il faut s'égarer, se reposer
dans le silence de ces bosquets comparables , en certains points, aux
bosquets du château de Versailles; mais la casa del Labrador, con-
struite aux frais de Charles IV, n'approche pas de l'élégante recherche
du petit Trianon; la Flora, jardin anglais dessiné par un Irlandais,
M. R. Wall, ne vaut pas le jardin imité de Hatwell. Aux solennités
royales, les eaux d'Aranjuez jouent comme les eaux de la Granja, comme
font celles de Versailles et de Saint-Cloud : cependant, aux jours de
cohue, nous préférons mille fois les jours tranquilles, durant lesquels
se rencontrent de rares promeneurs qu'attirent les beautés seules de la
nature; nous préférons surtout les heures si courtes, si fugitives qui
suivent un orage, car alors le palais et la ville d'Aranjuez, embaumés
de l'odeur des plantes, semblent renaître à la vie.
Les Madriléniens affirment, sous forme sentencieuse, que l'Escurial
est « le triomphe de l'art» et la vallée d'Aranjuez « le triomphe de la
nature. » Malheureusement qui dit trop ne dit rien. Nous nous sommes
exprimé avec une franchise presque austère à l'endroit de l'Escurial;
nous agirons de même pour Aranjuez, et loin de féliciter la nature,
nous lui reprocherons l'humidité malsaine qu'elle entretient dans cette
vallée, les fièvres qui surviennent pendant trois mois d'été et l'aspect
triste d'un rideau de collines presque stériles. Cette part, un peu large,
faite à la critique, nous vanterons, comme ils le méritent, les charmes
d'une végétation qu'on voit avec surprise, avec bonheur, au milieu
des plaines arides de la Castille.
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n'ont presque jamais rencontré d'artistes dignes d'eux. Yelazquez, sé-
duit par les magnifiques ombrages du parc, par l'élégance des jardins
et les jets d'eau qui servent à les abreuver, prit soin de les immor-
taliser. Il les peignit d'une manière idéale plutôt que naturelle; mais
dans cette idéalité même se reconnaît la conception et la touche du
grand maître. Le parc d'Aranjuez , très-étendu, embrasse autour de la
ville un périmètre d'une dizaine de lieues. Il est entremêlé de maisons
de campagne, résidences d'été des seigneurs de la cour, et d'une foule
de jardins qui fournissent Madrid de ces melons magnifiques, de ces
fraises savoureuses et de ces excellents légumes qu'on y trouve en aussi
grande abondance que dans le Nord. Il faut une journée pour bien voir
le parc, les jardins, la ville et le château; il faut s'égarer, se reposer
dans le silence de ces bosquets comparables , en certains points, aux
bosquets du château de Versailles; mais la casa del Labrador, con-
struite aux frais de Charles IV, n'approche pas de l'élégante recherche
du petit Trianon; la Flora, jardin anglais dessiné par un Irlandais,
M. R. Wall, ne vaut pas le jardin imité de Hatwell. Aux solennités
royales, les eaux d'Aranjuez jouent comme les eaux de la Granja, comme
font celles de Versailles et de Saint-Cloud : cependant, aux jours de
cohue, nous préférons mille fois les jours tranquilles, durant lesquels
se rencontrent de rares promeneurs qu'attirent les beautés seules de la
nature; nous préférons surtout les heures si courtes, si fugitives qui
suivent un orage, car alors le palais et la ville d'Aranjuez, embaumés
de l'odeur des plantes, semblent renaître à la vie.
Les Madriléniens affirment, sous forme sentencieuse, que l'Escurial
est « le triomphe de l'art» et la vallée d'Aranjuez « le triomphe de la
nature. » Malheureusement qui dit trop ne dit rien. Nous nous sommes
exprimé avec une franchise presque austère à l'endroit de l'Escurial;
nous agirons de même pour Aranjuez, et loin de féliciter la nature,
nous lui reprocherons l'humidité malsaine qu'elle entretient dans cette
vallée, les fièvres qui surviennent pendant trois mois d'été et l'aspect
triste d'un rideau de collines presque stériles. Cette part, un peu large,
faite à la critique, nous vanterons, comme ils le méritent, les charmes
d'une végétation qu'on voit avec surprise, avec bonheur, au milieu
des plaines arides de la Castille.