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VOYAGE EN ESPAGNE.
vées, dont le profil ressemble assez bien aux dents d'une grande
scie. Au milieu de cette succession de pointes, on voit une large brèche
que l'on désigne sous le nom du coup de sabre de Roland.
On retrouve partout ces poétiques souvenirs des fabliaux du moyen
âge. César et Roland sont des héros populaires : le sabre et l'épée con-
duisent plus sûrement à l'immortalité que les instruments pacifiques
des bienfaiteurs de l'espèce humaine ; le troupeau humain garde un
bon souvenir de ces grands guerroyeurs qui l'ont égorgé sans pitié. Mais
laissons là cette source de déclamations philosophiques, et constatons,
en passant, que les Espagnols désignent sous le nom de sierra ce que
nous appelons chaîne de montagnes; leur langage est plus exact que
le nôtre. Ils disent encore hilera (une file), ce qui est encore meilleur.
Toute la côte est montagneuse, et il faut noter que ces montagnes ont
un aspect triste et sauvage. On dit que ces roches ardues et dé-
pouillées contiennent beaucoup de minerais de plomb et de cuivre ar-
gentifère ; on commence même à exploiter quelques filons productifs;
en ce moment, nous sommes en face d'une grande usine anglaise, dont
les hautes cheminées portent un panache de fumée qui est d'un bon
augure.
A neuf heures et demie, le Phénicien mouille son ancre dans le port
d'Alicante. Nous sommes en retard de plus de deux heures, par suite
de la tempête que nous avons essuyée : tâchons cependant de bien
employer cette journée.
L'entrée par la voie de mer est fort pittoresque. La ville paraît peu
considérable : le fort qui la domine est protégé par un rempart très-
incliné, disposé en zigzag, sur lequel existe une sorte de route en
escalier très-raide. Le port est protégé à son tour par une jetée, à l'ex-
trémité de laquelle se trouve un phare en bois de la construction la
plus élégante.
Nous débarquons sur le môle, et nous voici aussitôt en quête des
impressions de voyage. D'abord remarquons ceci : il pleut très-
rarement à Alicante : un monsieur, à figure de maître d'école, nous
dit que depuis quinze ans on n'a pas vu autant de boue qu'il s'en
trouve aujourd'hui dans ce pays de sécheresse habituelle. Nous avons
dû marcher avec précaution, car la ville n'est pas pavée.
VOYAGE EN ESPAGNE.
vées, dont le profil ressemble assez bien aux dents d'une grande
scie. Au milieu de cette succession de pointes, on voit une large brèche
que l'on désigne sous le nom du coup de sabre de Roland.
On retrouve partout ces poétiques souvenirs des fabliaux du moyen
âge. César et Roland sont des héros populaires : le sabre et l'épée con-
duisent plus sûrement à l'immortalité que les instruments pacifiques
des bienfaiteurs de l'espèce humaine ; le troupeau humain garde un
bon souvenir de ces grands guerroyeurs qui l'ont égorgé sans pitié. Mais
laissons là cette source de déclamations philosophiques, et constatons,
en passant, que les Espagnols désignent sous le nom de sierra ce que
nous appelons chaîne de montagnes; leur langage est plus exact que
le nôtre. Ils disent encore hilera (une file), ce qui est encore meilleur.
Toute la côte est montagneuse, et il faut noter que ces montagnes ont
un aspect triste et sauvage. On dit que ces roches ardues et dé-
pouillées contiennent beaucoup de minerais de plomb et de cuivre ar-
gentifère ; on commence même à exploiter quelques filons productifs;
en ce moment, nous sommes en face d'une grande usine anglaise, dont
les hautes cheminées portent un panache de fumée qui est d'un bon
augure.
A neuf heures et demie, le Phénicien mouille son ancre dans le port
d'Alicante. Nous sommes en retard de plus de deux heures, par suite
de la tempête que nous avons essuyée : tâchons cependant de bien
employer cette journée.
L'entrée par la voie de mer est fort pittoresque. La ville paraît peu
considérable : le fort qui la domine est protégé par un rempart très-
incliné, disposé en zigzag, sur lequel existe une sorte de route en
escalier très-raide. Le port est protégé à son tour par une jetée, à l'ex-
trémité de laquelle se trouve un phare en bois de la construction la
plus élégante.
Nous débarquons sur le môle, et nous voici aussitôt en quête des
impressions de voyage. D'abord remarquons ceci : il pleut très-
rarement à Alicante : un monsieur, à figure de maître d'école, nous
dit que depuis quinze ans on n'a pas vu autant de boue qu'il s'en
trouve aujourd'hui dans ce pays de sécheresse habituelle. Nous avons
dû marcher avec précaution, car la ville n'est pas pavée.