à peu à l'expression globale de la forme dans l'espace. De Masaccio
qui avait passé son enfance dans une région de la Toscane où le soleil
couchant sculpte à coups d'ombres les montagnes, il n'avait hérité
que le sentiment dramatique d'un monde arrivé à la vie entre des
idées qui se meurent et des idées qui ne sont pas encore adultes.
C'est cette passion de la ligne qui l'empêcha de se dégager tout à
fait, même quand arriva Vinci, d'une sorte de primitivisme intellectuel
d'où il faillit sortir un instant avec Gozzoli et surtout Ghirlandajo,
mais où le rejeta l'influence des platoniciens et le génie morbide de
Sandro Botticelli. Pour résister à son besoin de démontrer et d'abs-
traire, il eût dû s'abandonner à la pente de son instinct et partir du
réalisme ardent qui était le fond de sa nature pour en dégager natu-
rellement l'idéalisme plastique que pressentait Masaccio. Mais une
telle passion de savoir, de découvrir, de comprendre le dévorait que
l'esprit devança les sens, qu'il s'épuisa à chercher trop souvent le
secret de la vie hors du sentiment frénétique qu'il en avait.
La vie réelle de Florence, dramatique et décorative, eût pu être
pour les artistes, s'ils s'étaient penchés sur elle directement, une source
inépuisable d'émotion. La dissociation s'ébauchait à peine dans le
sentiment populaire dont les rixes et les spectacles alimentaient le
besoin passionnel. Les idées des théoriciens ne touchaient pas tous
les peintres si tous, les plus frustes et les plus simples même, recevaient
l'empreinte brûlante de la ville et de son tourment. La plupart, qui
commençaient par des besognes ingrates, dans la boutique des orfèvres
du Ponte Vecchio et l'atelier des fabricants de tableaux d'autel où
volait la poudre d'or, portaient pour leur salut leur rudesse d'artisan
dans les milieux platoniciens. Ce n'était point un littérateur que l'assas-
sin Andrea del Gastagno, esprit tranchant comme une hache, qui
peignait sur les murs le Christ pendu comme à l'étal, les portraits
des soldats et des poètes de Florence, formes aussi tendues que son
cœur, aussi pures que son orgueil, aussi géantes que son énergie,
cuirasses, glaives, lauriers noirs, monde de fer, hymne implacable
d'ascétisme, de vengeance et d'amour. Ce n'était point un pédant que
Paolo Uccello qui racontait, dans de grands tableaux rouges, avec
une vigueur candide, des tournois en caparaçons hérissés de bande-
roles, retentissants de bruits d'armures et de chocs de cavalerie. Un
tumulte discipliné, la poussée lourde et régulière des escadrons, le
parallélisme des lances, la grande paix des bois obscurs autour des
abois, des galops, des hennissements, des clameurs, que ce fût la guerre
ou la chasse, l'image était pourtant un théorème par son rythme massif
et son harmonie sombre et sourde. Ouvrier d'art et très savant, il
passait ses jours et ses nuits à résoudre des problèmes de perspective,
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qui avait passé son enfance dans une région de la Toscane où le soleil
couchant sculpte à coups d'ombres les montagnes, il n'avait hérité
que le sentiment dramatique d'un monde arrivé à la vie entre des
idées qui se meurent et des idées qui ne sont pas encore adultes.
C'est cette passion de la ligne qui l'empêcha de se dégager tout à
fait, même quand arriva Vinci, d'une sorte de primitivisme intellectuel
d'où il faillit sortir un instant avec Gozzoli et surtout Ghirlandajo,
mais où le rejeta l'influence des platoniciens et le génie morbide de
Sandro Botticelli. Pour résister à son besoin de démontrer et d'abs-
traire, il eût dû s'abandonner à la pente de son instinct et partir du
réalisme ardent qui était le fond de sa nature pour en dégager natu-
rellement l'idéalisme plastique que pressentait Masaccio. Mais une
telle passion de savoir, de découvrir, de comprendre le dévorait que
l'esprit devança les sens, qu'il s'épuisa à chercher trop souvent le
secret de la vie hors du sentiment frénétique qu'il en avait.
La vie réelle de Florence, dramatique et décorative, eût pu être
pour les artistes, s'ils s'étaient penchés sur elle directement, une source
inépuisable d'émotion. La dissociation s'ébauchait à peine dans le
sentiment populaire dont les rixes et les spectacles alimentaient le
besoin passionnel. Les idées des théoriciens ne touchaient pas tous
les peintres si tous, les plus frustes et les plus simples même, recevaient
l'empreinte brûlante de la ville et de son tourment. La plupart, qui
commençaient par des besognes ingrates, dans la boutique des orfèvres
du Ponte Vecchio et l'atelier des fabricants de tableaux d'autel où
volait la poudre d'or, portaient pour leur salut leur rudesse d'artisan
dans les milieux platoniciens. Ce n'était point un littérateur que l'assas-
sin Andrea del Gastagno, esprit tranchant comme une hache, qui
peignait sur les murs le Christ pendu comme à l'étal, les portraits
des soldats et des poètes de Florence, formes aussi tendues que son
cœur, aussi pures que son orgueil, aussi géantes que son énergie,
cuirasses, glaives, lauriers noirs, monde de fer, hymne implacable
d'ascétisme, de vengeance et d'amour. Ce n'était point un pédant que
Paolo Uccello qui racontait, dans de grands tableaux rouges, avec
une vigueur candide, des tournois en caparaçons hérissés de bande-
roles, retentissants de bruits d'armures et de chocs de cavalerie. Un
tumulte discipliné, la poussée lourde et régulière des escadrons, le
parallélisme des lances, la grande paix des bois obscurs autour des
abois, des galops, des hennissements, des clameurs, que ce fût la guerre
ou la chasse, l'image était pourtant un théorème par son rythme massif
et son harmonie sombre et sourde. Ouvrier d'art et très savant, il
passait ses jours et ses nuits à résoudre des problèmes de perspective,
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