nale et le buisson ardent font paraître encore plus rouge, avec des reflets
plus sombres, la flamme des crépuscules incendiés et l'âcre vapeur qui
monte de la guerre de France et des insurrections flamandes écrasées
dans le sang.
C'est que la Flandre souffre à son tour. Sans en être réduite à la
misère des provinces françaises du Nord, saine encore, active, très
vivante, elle commence à sentir le poids du gantelet du Bourguignon.
Tout son or passe à payer la fête ducale et la guerre française, tandis
que l'Anglais pèse de plus en plus sur l'industrie des Gantais et le
commerce des Brugeois. Bruges et Gand, en outre, se querellent, Gand
aide le duc à réprimer l'insurrection de Bruges, le duc s'appuie sur
Bruges pour étouffer la révolte de Gand. C'est le commencement de
l'égorgement systématique des Pays-Bas et du pays wallon. Liège et
Dinant auront leur tour en attendant l'arrivée de l'Espagne, la terrible
guerre des gueux, les bûchers, les massacres, quatre générations
broyées, l'édifice énorme des ancêtres en ruine et dévasté.
Bruges se meurt. Dès la fin du xve siècle, son port s'ensablera. Le
dernier des Van Eyck a pu déjà assister à l'échec de sa tentative de
libération. Rogier van der Weyden travaille à Bruxelles quand il n'est
pas en Italie. Simon Marmion, le miniaturiste d'Amiens, vit à Gand,
chez Philippe le Bon. Dierick Bouts, sans doute, est à Bruges, mais il
lui vient de Hollande, Hugo van der Goes est Gantais, Memling,
comme les Van Eyck, est des provinces du Rhin. On dirait que la
ville illustre n'attire plus les peintres par l'éclat de ses fêtes et sa puis-
sance d'action, mais qu'ils cèdent, en venant y vivre, à cette sorte
de dilettantisme maladif qui s'empare des artistes aux heures de décou-
ragement social et les fait émigrer en masse vers les belles choses qui
s'en vont. Certes, ils y trouvent toujours, et leurs yeux illuminés s'en
emplissent, la richesse de ton que prennent à travers l'atmosphère
lavée les façades rouges, jaunes, vertes, la vivacité, la fixité, la profon-
deur des taches qu'elles découpent sur le ciel et font trembler dans
l'eau, le manteau royal des cultures qu'on voit s'étendre sur la plaine,
du haut du beffroi. Et il leur suffît d'aller de Bruges à Gand pour y
assister aux fêtes plus somptueuses que jamais qu'y donne Philippe le
Bon, cours d'amours bourguignonnes, défilés, festins, tournois, cha-
pitres de la Toison d'Or. Hugo van der Goes les y reçoit. C'est un
peintre puissant, trop pensif et trop tendre pour n'avoir pas senti le
drame, trop fortement sensuel aussi pour oublier la magnificence du
faste, la saveur du sol, la lumière diffuse dont l'espace est rempli.
La profonde terre mouillée, l'éclat sombre du feuillage, et sur ce monde
confus dont la vie sourd de toutes parts, en rosée, en sève, en vapeur,
en forces de fécondation, la gravité méditative des visages et le poids
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plus sombres, la flamme des crépuscules incendiés et l'âcre vapeur qui
monte de la guerre de France et des insurrections flamandes écrasées
dans le sang.
C'est que la Flandre souffre à son tour. Sans en être réduite à la
misère des provinces françaises du Nord, saine encore, active, très
vivante, elle commence à sentir le poids du gantelet du Bourguignon.
Tout son or passe à payer la fête ducale et la guerre française, tandis
que l'Anglais pèse de plus en plus sur l'industrie des Gantais et le
commerce des Brugeois. Bruges et Gand, en outre, se querellent, Gand
aide le duc à réprimer l'insurrection de Bruges, le duc s'appuie sur
Bruges pour étouffer la révolte de Gand. C'est le commencement de
l'égorgement systématique des Pays-Bas et du pays wallon. Liège et
Dinant auront leur tour en attendant l'arrivée de l'Espagne, la terrible
guerre des gueux, les bûchers, les massacres, quatre générations
broyées, l'édifice énorme des ancêtres en ruine et dévasté.
Bruges se meurt. Dès la fin du xve siècle, son port s'ensablera. Le
dernier des Van Eyck a pu déjà assister à l'échec de sa tentative de
libération. Rogier van der Weyden travaille à Bruxelles quand il n'est
pas en Italie. Simon Marmion, le miniaturiste d'Amiens, vit à Gand,
chez Philippe le Bon. Dierick Bouts, sans doute, est à Bruges, mais il
lui vient de Hollande, Hugo van der Goes est Gantais, Memling,
comme les Van Eyck, est des provinces du Rhin. On dirait que la
ville illustre n'attire plus les peintres par l'éclat de ses fêtes et sa puis-
sance d'action, mais qu'ils cèdent, en venant y vivre, à cette sorte
de dilettantisme maladif qui s'empare des artistes aux heures de décou-
ragement social et les fait émigrer en masse vers les belles choses qui
s'en vont. Certes, ils y trouvent toujours, et leurs yeux illuminés s'en
emplissent, la richesse de ton que prennent à travers l'atmosphère
lavée les façades rouges, jaunes, vertes, la vivacité, la fixité, la profon-
deur des taches qu'elles découpent sur le ciel et font trembler dans
l'eau, le manteau royal des cultures qu'on voit s'étendre sur la plaine,
du haut du beffroi. Et il leur suffît d'aller de Bruges à Gand pour y
assister aux fêtes plus somptueuses que jamais qu'y donne Philippe le
Bon, cours d'amours bourguignonnes, défilés, festins, tournois, cha-
pitres de la Toison d'Or. Hugo van der Goes les y reçoit. C'est un
peintre puissant, trop pensif et trop tendre pour n'avoir pas senti le
drame, trop fortement sensuel aussi pour oublier la magnificence du
faste, la saveur du sol, la lumière diffuse dont l'espace est rempli.
La profonde terre mouillée, l'éclat sombre du feuillage, et sur ce monde
confus dont la vie sourd de toutes parts, en rosée, en sève, en vapeur,
en forces de fécondation, la gravité méditative des visages et le poids
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