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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 11.1875

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Nr. 5
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Bonnaffé, Edmond: Maître Pihourt et ses hétéroclites
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https://doi.org/10.11588/diglit.21840#0418

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MAITRE PIHOURT ET SES HÉTÉROCLITES.

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toutes lettres. Le parti pris des lignes verticales nettement accusé par
de longues fenêtres à meneaux se prolongeant en lucarnes monumen-
tales, les toitures s'élevant en pointe, les piliers à pans, les escaliers à
vis et les chapiteaux à double pente sont autant d'hérésies que personne
ne mettra sur le compte des adorateurs exclusifs de l'antiquité. Toutefois
certains détaiLs de décoration ne paraissent pas de la même main que le
reste; Jean de Laval, par déférence pour son maître, a-t-il voulu donner
un dédommagement aux Italiens? Leur a-t-il permis d'ajouter à l'édifice
quelques agréments de leur façon, comme ces bustes en marbre blanc
placés jadis dans des niches en pierre noire sur les trumeaux du premier
étage? Voilà un pauvre décor et une idée étrange qui n'a rien de fran-
çais ; le Rosso a bien pu passer par là.

En saluant à sa manière l'arrivée des Italiens, le vieux maître maçon
de Rennes parlait au nom des corporations de province : c'était leur
déclaration de guerre. Plus tard l'opposition devient générale; tout ce
qui tient la plume et ne touche pas de trop près à la cour se met de la
partie et la lutte continue jusqu'aux derniers Valois, aussi gauloise et
frondeuse que jamais. On connaît les grandes colères d'Henri Estienne ;
Ch. de Sainte-Marthe, Poldo d'Albenas, du Fail et les autres donnent
leur coup de dent en passant. Sous Henri III, le Périgourdin Montaigne
gourmande encore les jeunes gens qui vont en Italie « pour en rapporter
combien de pas à Santa Rotonda, ou la richesse des calessons de la
signora Livia; » et Philibert de l'Orme traite vertement les peintres ita-
liens qui se mêlent de faire les architectes : « par leurs beaux portraits,
dit-il, et une je ne scay quelle témérité accompagnée de grand nombre
de paroles et d'arrogance, ils déçoivent les hommes crédules, et se per-
suadent et promettent incontinent estre les primes du monde et avoir
mérité d'estre reputez grands architectes. »

Car Philibert de l'Orme n'aime pas les Italiens, et n'accepte leurs
nouveautés que sous bénéfice d'inventaire ; malgré son séjour en Italie
et à la cour, l'ancien apprenti lyonnais conserve tout l'esprit des maî-
trises de province et tempère les deux principes avec un rare bon sens.
Ce double caractère donne au vieil artiste une physionomie à part qui
résume à merveille le mouvement national du xvie siècle. De l'Orme est
un Français qui est allé en Italie étudier l'antique, en est revenu con-
verti, et n'a sacrifié ni sou indépendance, ni sa personnalité; l'entête-
ment de sa province l'a sauvé. Toute l'histoire de notre Renaissance
est là.

EDMOND BONNAFFÉ.
 
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