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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 11.1875

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Nr. 5
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Chesneau, Ernest: Jean-François Millet
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https://doi.org/10.11588/diglit.21840#0444

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JEAN-FRANÇOIS MILLET.

Z|29

nous appelle et nous rappelle, et nous poursuit encore après que nous
l'avons quitté. Par la toute-puissance de l'art, ce peu de chose (qu'est-ce
que quarante-six pastels ?) s'impose à l'étude de tous, à l'admiration du
grand nombre, à la méditation de quelques-uns, artistes et penseurs.
C'est une part minime, mais la plus saisissante peut-être, de l'œuvre que
laisse en mourant le peintre Jean-François Millet l.

Après tant de siècles d'efforts persévérants pour éclairer la nuit de
nos destinées humaines, de quelles humiliantes ténèbres ne demeurent-
elles pas enveloppées! J'ouvre la biographie de Millet. J'y vois que Millet
est fils de paysans des côtes normandes, que son enfance et sa jeunesse
se sont écoulées dans le partage des travaux de la terre avec sa famille,
qu'il a gardé les troupeaux, mené la charrue, semé, moissonné, fécondé
de son labeur le maigre humus des hauts plateaux desséchés par la
course incessante des vents de mer. Je me rappelle sa maison natale, il
nous l'a montrée dans un de ses tableaux ; une pauvre maison, bloc mas-
sif de cailloux et de galets, percée de rares ouvertures, couverte de
chaume, perdue à la pointe du village de Gréville, suspendue sur l'im-
mense Océan. Un petit chemin tournant au bord de la falaise, un mur en
pierres sèches à hauteur d'appui et un arbre échue, rabougri, de sil-
houette misérable, séparent l'humble demeure des vertiges de l'abîme.
Tout ce qui fut fait de main d'homme ici est dur, sombre, morne et
comme fermé. Il n'y vient de lumière que de la nature, du ciel et de
l'horizon sans limites, des mouvantes colorations des nuées colorant
diversement les grandes eaux en mouvement. Au seuil de la maison,
quelques animaux domestiques, des ébats de poules et d'oies picorant
dans l'herbe rare auprès d'un ruisseau frissonnant, mettent dans l'aus-
térité du site un rayon de gaieté familière.

Je me reporte alors à cette date de 1815, où naquit en ce lieu un
enfant voué, semblait-il, à toutes les privations de culture intellectuelle;
et je demeure confondu. Comment s'est-il affranchi des fatalités sociales
qui écrasaient son berceau? Comment a-t-il pu sortir de ce milieu?
Comment a-t-il escaladé les barrières qui lui interdisaient l'accès de
l'art? Comment cet enfant condamné à la servitude dès le ventre de sa
mère, a-t-il rompu sa chaîne? 11 se peut donc que la parabole du semeur
ne se vérifie pas toujours et que le grain tombé parmi les épines, ayant
poussé avec les épines, réussisse à étouffer les épines, au lieu d'être
étouffé par elles. Cela est digne de remarque et consolant.

1. Ces quarante-six dessins font partie de la très-belle collection de M. Gavet, qui
a généreusement ouvert cette exposition au profit de la famille de Millet.
 
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