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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 11.1875

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Nr. 5
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Viardot, Louis: Quelques avis aux collectionneurs de tableaux
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https://doi.org/10.11588/diglit.21840#0504

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^86 GAZETTE DES BEAUX-AUTS.

amateurs mes confrères, laissez dire ceux qui nous accusent de brocanter, parce qu'ils
ne comprennent rien aux attraits du nouveau; et, sans vous laisser toutefois tondre de
trop près par de plus fins que vous, qui savent mieux calculer parce qu'ils sont moins
faciles aux impressions soudaines, donnez-vous le plaisir charmant de former, défor-
mer et reformer sans cesse la collection qui fait l'occupation et la joie de votre vie.
Gardez précieusement les vieux amis intimes; mais changez sans regret les indif-
férents, et chassez sans pitié du sanctuaire ceux que condamnent les progrès de votre
goût et la sûreté croissante de vos lumières.

Cette réserve, que, dans les mouvements d'entrée et de sortie, on doit ouvrir les
yeux, mettre la bride aux tentations et se défier des simples caprices, afin de ne pas
dépenser en pertes sèches des sommes qui doivent procurer d'autres richesses et
d'autres plaisirs; cette réserve, dis-je, m'amène à parler du prix des objets. Ici, je
m'adresse surtout aux amateurs nouveaux, peut-être novices, qui commencent à se
former une collection. Qu'ils ne s'avisent pas de croire que l'on s'attache aux objets
achetés en raison directe du haut prix qu'on en donne. Le contraire est vrai. On s'y
attache davantage par le bon marché qu'on se vante d'avoir obtenu. Je suppose une
acquisition faite en vente publique (de là du moins on ne saurait emporter aucun
remords, car on n'a pu tromper personne, on n'a pu abuser de l'ignorance du vendeur
ou de sa crédulité, et même on lui a donné un peu plus que le dernier enchérisseur).
Si l'on a obtenu de bonnes conditions, on en est fier; on s'applaudit d'avoir eu plus
de flair ou de hardiesse que tous les autres assistants, d'avoir deviné, seul entre tous,
le mérite et la valeur de l'objet acquis. C'est par cette raison surtout qu'on s'y attache.
Voici, par exemple, dans mon cabinet, le portrait d'une Dame hollandaise, acheté à
Londres en vente publique, il y a une trentaine d'années. J'ai trouvé de ce portrait,
dont nul encore n'a pu déterminer l'auteur (c'est, je crois, tout bonnement Janson Van
Ceulen, qui s'est surpassé), non pas deux fois, ni dix fois, mais cent fois ce qu'il m'a
coûté. Et malgré l'appât d'un si énorme bénéfice, j'ai constammentTefusé de m'en
défaire. Pourquoi? C'est qu'à la valeur réelle, ainsi constatée, se joint pour moi,
dans ce tableau, l'attrait d'une conquête, d'une vraie conquête, gagnée, non à prix
d'argent, mais par supériorité de connaisseur. N'est-il pas naturel que j'y sois dou-
blement attaché. Au contraire, un tableau payé trèj-chèrement, très au delà de son
pi'ix, souvent par ostentation de riche plutôt que par passion de curieux, devient peu
à peu, et bientôt, indifférent d'abord, puis haïssable. « Toi, lui dit-on, tu m'as coûté
plus que tu ne vaux; » et ce sentiment d'aversion s'augmente encore par la difficulté,
que dis-je! par l'impossibilité où l'on est de le vendre ou de l'échanger sans perte
notable. Je suis sûr qu'en ce point les vieux amateurs comme moi ne me donneront
pas tort.

Ils me donneront encore raison si j'insiste sur la nécessité absolue de l'authenticité
d'une œuvre. Bien entendu, il ne s'agit pas de conserver à cette œuvre sa valeur
vénale : dire que, pour cela, elle doit être authentique, ce serait proclamer une vérité
de La Palisse; il s'agit de lui conserver l'attrait qu'elle a pour son possesseur et la
satisfaction qu'elle lui donne. On dit : « Qu'importe que ce tableau soit de Pierre ou
de Paul? c'est le même tableau, celui qui vous a plu, que vous avez acheté parce
qu'il vous plaisait. Pourquoi cesserait-il de vous plaire? — Eh non, monsieur, ce
n'est plus le même tableau; en changeant son nom, vous avez changé son essence. J'y
adorais les traces de la main de Baphaël ou de Bembrandt; je ne saurais retrouver ce
charme souverain dans l'œuvre d'un copiste ou même d'un imitateur. » Et quel est le
 
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