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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 11.1875

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Nr. 6
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Chesneau, Ernest: Un humoriste anglais: John Leech
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https://doi.org/10.11588/diglit.21840#0552

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JOHN LEECH.

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guin et la bilieuse énergie d'une misanthropie indignée, révoltée dans tous
ses instincts honnêtes. Hogarth est de la famille de Timon d'Athènes,
une sorte d'Alceste trivial et brutal.

Dans l'œuvre immense de John Leech, rien de cela. John Leech ne
montre ni colère ni haine pour le vice; il ne veut point le voir, il en
détourne ses yeux qu'attirent, retiennent et occupent exclusivement de
moins âpres sujets. Il n'est point un satirique, mais plutôt un critique ;
et encore... un critique aimable, enjoué, indulgent. Il ne connaît point
le rire féroce, le rire endenté de William Hogarth, ni même le large rire
de notre Daumier. 11 sourit. Son sourire n'eût point choqué Lamartine,
l'ennemi déclaré du rire. Il ne voit que les petits travers de la société au
milieu de laquelle il se meut : travers qu'il partage (il se met lui-même
en scène quelquefois) ; travers qu'il absout, qu'il aime ; travers d'édu-
cation, inoffensifs; travers de coutumes et de costumes; travers plastiques
de l'individu, si fréquents dans la vie anglaise, insouciante du ridicule
et où foisonne l'individualité des caractères.

Les romans dont les traductions se sont tellement multipliées en
France depuis vingt ans, Dickens, Thackeray, AV. Collins, Bulwer
Lytton, etc., nous ont appris par l'inépuisable abondance de leurs types,
que chacun en Angleterre se présente avec une façon d'être toute per-
sonnelle à travers la commune enveloppe imposée par la communauté
de l'action sociale. Cette révélation est sans cesse confirmée par l'œuvre
de John Leech. Et la sincérité de ce dernier nous est démontrée parla
constante popularité qui l'a suivi, sans se démentir un moment, depuis
ses débuts jusqu'à sa mort, et lui survit. Or ce n'est pas à l'artiste que
s'attache la popularité. Les foules, elles, sont impuissantes à mesurer la
valeur de l'œuvre d'art; c'est l'observateur exact, subtil, c'est l'interprète
du réel, du vrai qu'elles applaudissent; en quoi elles sont bon juge.

Là précisément est le trait essentiel du talent de John Leech et sa
part de génie. Il est doué d'une telle sûreté d'observation qu'il surprend
et fixe au passage les détails caractéristiques et les plus humbles, les
plus fugitifs du mouvement et de l'expression, c'est-à-dire de la phy-
sionomie générale. A ma connaissance, il n'existe pas une histoire plus
vraie, plus vivante, plus fidèle dans sa douce ironie, ni plus variée des
mœurs et des usages anglais au xixe siècle que celle qu'il en a tracée
avec une mesure et un tact qui n'interdisent point la gaieté, avec une
délicatesse qui n'exclut point la profondeur. S'il m'est permis d'emprun-
ter une seconde image à la même source, je dirai que le style de John
Leech, clans ses meilleurs œuvres, me rappelle volontiers celle des
Femmes savantes et des Précieuses ridicules.
 
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