25k
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
la main, travaille sur son établi. A gauche, et tout à fait au premier plan,
une corbeille avec de grands ciseaux.
Le groupe de la Vierge et de l’enfant est heureusement trouvé et d’un
charme extrême. La couleur est pleine de délicatesse, de douceur et de
clarté.
Raphaël Mengs en fait, dans sa Description clés tableaux du palais du
roi à Madrid, un éloge qui nous semble plein de justesse : « Il y a peu
d’ouvrages du Corrège; mais comme chaque production de ce grand
maître nous présente toute la magie de l’art, les deux seuls qui sont dans
ce palais suffisent pour nous donner une idée du talent supérieur de cet
artiste. La Vierge qui met des langes à l’enfant, et saint Joseph qui est
dans le fond, semblent faits en manière d’ébauche, tant la variété que
l’artiste a su mettre dans les mouvements de l’enfant et de la Vierge
est étonnante. On est surpris qu’une figure qui a moins de deux palmes
de hauteur produise un si grand effet à une distance assez considérable,
car on croirait qu’elle excède sa grandeur réelle. Cette magie ne consiste
cependant pas tant dans la grande force du clair-obscur que dans les
demi-teintes imperceptibles dont il s’est servi pour passer des clairs
aux ombres, et dans l’art admirable avec lequel il a su employer les uns
et les autres, art par lequel il a si bien rendu le relief et les formes
qu’on a de la peine à croire que ses tableaux ne soient qu’une surface
plane. » (Lettre de Mengs à don Antonio Ponz, pages 72 et 73; traduction
française, 1786.)
La Vierge au panier fut donnée par le roi d’Espagne Charles IV àGodoï
prince de la Paix. Au temps de l’invasion française elle passa en diverses
mains. Elle fut portée en Angleterre en 1813 par les soins de Buchanan,
qui la mit en vente, mais sans succès, au prix de 2,000 guinées
(52,000 francs). Vers 1820 on l’apporta à Paris, et M. Lapeyrière en
devint acquéreur pour la somme de 2A,000 francs. Malheureusement
elle resta peu d’années en France. La célèbre collection Lapeyrière fut
dispersée dans le courant de 1825 et le précieux petit panneau atteignit
en vente publique un prix qui parut tout à fait extraordinaire à cette
époque et qui a été depuis bien dépassé ! 80,000 francs, c’est la moitié
de ce qu’on donne aujourd’hui pour une tête de Greuze bien réussie.
Combien la Vierge du Corrège se vendrait-elle maintenant? Qui sait?
Moins que la tête de Greuze peut-être.
R E I S ET.
(La suite prochainement.)
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
la main, travaille sur son établi. A gauche, et tout à fait au premier plan,
une corbeille avec de grands ciseaux.
Le groupe de la Vierge et de l’enfant est heureusement trouvé et d’un
charme extrême. La couleur est pleine de délicatesse, de douceur et de
clarté.
Raphaël Mengs en fait, dans sa Description clés tableaux du palais du
roi à Madrid, un éloge qui nous semble plein de justesse : « Il y a peu
d’ouvrages du Corrège; mais comme chaque production de ce grand
maître nous présente toute la magie de l’art, les deux seuls qui sont dans
ce palais suffisent pour nous donner une idée du talent supérieur de cet
artiste. La Vierge qui met des langes à l’enfant, et saint Joseph qui est
dans le fond, semblent faits en manière d’ébauche, tant la variété que
l’artiste a su mettre dans les mouvements de l’enfant et de la Vierge
est étonnante. On est surpris qu’une figure qui a moins de deux palmes
de hauteur produise un si grand effet à une distance assez considérable,
car on croirait qu’elle excède sa grandeur réelle. Cette magie ne consiste
cependant pas tant dans la grande force du clair-obscur que dans les
demi-teintes imperceptibles dont il s’est servi pour passer des clairs
aux ombres, et dans l’art admirable avec lequel il a su employer les uns
et les autres, art par lequel il a si bien rendu le relief et les formes
qu’on a de la peine à croire que ses tableaux ne soient qu’une surface
plane. » (Lettre de Mengs à don Antonio Ponz, pages 72 et 73; traduction
française, 1786.)
La Vierge au panier fut donnée par le roi d’Espagne Charles IV àGodoï
prince de la Paix. Au temps de l’invasion française elle passa en diverses
mains. Elle fut portée en Angleterre en 1813 par les soins de Buchanan,
qui la mit en vente, mais sans succès, au prix de 2,000 guinées
(52,000 francs). Vers 1820 on l’apporta à Paris, et M. Lapeyrière en
devint acquéreur pour la somme de 2A,000 francs. Malheureusement
elle resta peu d’années en France. La célèbre collection Lapeyrière fut
dispersée dans le courant de 1825 et le précieux petit panneau atteignit
en vente publique un prix qui parut tout à fait extraordinaire à cette
époque et qui a été depuis bien dépassé ! 80,000 francs, c’est la moitié
de ce qu’on donne aujourd’hui pour une tête de Greuze bien réussie.
Combien la Vierge du Corrège se vendrait-elle maintenant? Qui sait?
Moins que la tête de Greuze peut-être.
R E I S ET.
(La suite prochainement.)