LES DONATIONS ET LES ACQUISITIONS DU LOUVRE.
59
répandu, le bel ami s’endort au giron d’une mignonne : alors, on le
détrousse, on se partage ses écus, sa montre, son épée, et sur le minuit
on le poussera dehors comme un malotru valet. Ce petit sujet de débauche
est du meilleur Steen, du Steen des jours sans hâte, où des empâtements
d’une adresse incomparable fixaient la malice de ce Hollandais prestigieux.
Deux Théodore Rousseau, un Gustave Ricard, un Grenadier de Charlet et
un Paysage d'automne de Ziem suivirent de près le Jean Steen.
Vers les derniers mois de 1881, M. A. Gruyer, de l’Institut, prenait la
lourde charge de conservateur des peintures du Louvre. Ses nombreux
écrits sur Raphaël et son titre d’académicien étaient ses meilleurs garants.
Les traditions de l’Académie des Beaux-Arts devaient diriger ses actes et
ses goûts. Tout le portait vers l’art supérieur; aussi s’estima-t-il peut-être
singulièrement servi par les circonstances le jour où l’administration des
Beaux-Arts lui envoya de l’hôtel Drouot le Combat de cerfs et Y Homme
blessé de Gustave Courbet. Sûrement, les préférences de M. Gruyer ne
semblèrent pas se fixer à cet idéal nouveau et il rêva pour ses galeries des
œuvres différentes. On le vit bien tout récemment, au mois de mai 1883.
M. Gruyer rapporta d’Italie une peinture célèbre connue sous le nom du
Raphaël de M. Morris Moore. L’auteur des Vierges de Raphaël devait
méditer depuis longtemps cette acquisition. Dès 1859, M. Gruyer s’était
en effet très hautement prononcé sur le caractère authentique de ce
tableau, fort contesté par certains connaisseurs. Sa déclaration était en
belle forme, décidée et convaincante à force de bonne foi1. Malgré le tour
pressant de ses raisons, M. Gruyer ne persuadait pas la partie adverse,
les Reiset, les His de la Salle, les Triquety, les Mundler, tous gens
ininfluençables. M. Reiset surtout ne voulait rien entendre : le Raphaël
tant discuté n’approcha donc pas le Louvre. Aujourd hui la querelle a
perdu de sa première chaleur et le Raphaël de Morris Moore occupe une
place d’honneur dans le grand salon carré. M. Gruyer ne pouvait mieux
venger Raphaël. 11 faut se réjouir de ce dénouement, car, en dépit de
toutes les discussions possibles, ce panneau attribué au maître d’Urbin
est une pure merveille. On l’a payé 200,000 francs, il les vaut; on l’a
mis au salon carré, il le mérite ; on a entendu de malintentionnés l’atta-
quer, il les brave tous dans son exquise beauté. Cessons un peu d’être
si fort médusés par le prestige des noms et laissons-nous empoigner par
la séduction des choses. Le tableau représente Apollon et Marsyas dans
l’instant de leur lutte. Marsyas, assis sur le premier site, joue de la flûte
devant Apollon debout non loin de lui. Un paysage délicieux encadre les
L Voir la Gazette des Beaux-Arts du 1er juillet <859.
59
répandu, le bel ami s’endort au giron d’une mignonne : alors, on le
détrousse, on se partage ses écus, sa montre, son épée, et sur le minuit
on le poussera dehors comme un malotru valet. Ce petit sujet de débauche
est du meilleur Steen, du Steen des jours sans hâte, où des empâtements
d’une adresse incomparable fixaient la malice de ce Hollandais prestigieux.
Deux Théodore Rousseau, un Gustave Ricard, un Grenadier de Charlet et
un Paysage d'automne de Ziem suivirent de près le Jean Steen.
Vers les derniers mois de 1881, M. A. Gruyer, de l’Institut, prenait la
lourde charge de conservateur des peintures du Louvre. Ses nombreux
écrits sur Raphaël et son titre d’académicien étaient ses meilleurs garants.
Les traditions de l’Académie des Beaux-Arts devaient diriger ses actes et
ses goûts. Tout le portait vers l’art supérieur; aussi s’estima-t-il peut-être
singulièrement servi par les circonstances le jour où l’administration des
Beaux-Arts lui envoya de l’hôtel Drouot le Combat de cerfs et Y Homme
blessé de Gustave Courbet. Sûrement, les préférences de M. Gruyer ne
semblèrent pas se fixer à cet idéal nouveau et il rêva pour ses galeries des
œuvres différentes. On le vit bien tout récemment, au mois de mai 1883.
M. Gruyer rapporta d’Italie une peinture célèbre connue sous le nom du
Raphaël de M. Morris Moore. L’auteur des Vierges de Raphaël devait
méditer depuis longtemps cette acquisition. Dès 1859, M. Gruyer s’était
en effet très hautement prononcé sur le caractère authentique de ce
tableau, fort contesté par certains connaisseurs. Sa déclaration était en
belle forme, décidée et convaincante à force de bonne foi1. Malgré le tour
pressant de ses raisons, M. Gruyer ne persuadait pas la partie adverse,
les Reiset, les His de la Salle, les Triquety, les Mundler, tous gens
ininfluençables. M. Reiset surtout ne voulait rien entendre : le Raphaël
tant discuté n’approcha donc pas le Louvre. Aujourd hui la querelle a
perdu de sa première chaleur et le Raphaël de Morris Moore occupe une
place d’honneur dans le grand salon carré. M. Gruyer ne pouvait mieux
venger Raphaël. 11 faut se réjouir de ce dénouement, car, en dépit de
toutes les discussions possibles, ce panneau attribué au maître d’Urbin
est une pure merveille. On l’a payé 200,000 francs, il les vaut; on l’a
mis au salon carré, il le mérite ; on a entendu de malintentionnés l’atta-
quer, il les brave tous dans son exquise beauté. Cessons un peu d’être
si fort médusés par le prestige des noms et laissons-nous empoigner par
la séduction des choses. Le tableau représente Apollon et Marsyas dans
l’instant de leur lutte. Marsyas, assis sur le premier site, joue de la flûte
devant Apollon debout non loin de lui. Un paysage délicieux encadre les
L Voir la Gazette des Beaux-Arts du 1er juillet <859.