204
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Si Richelieu n’avait écrit que cette lettre ridicule, il ferait une triste
figure dans l’bistoire. On croit rêver quand on lit ce papier compromet-
tant. Une pareille proposition ne pouvait être inspirée que par des ran-
cunes politiques. Rubens était alors à Madrid, où il s’occupait d’une
affaire qui déplaisait fort au Cardinal, le projet de rapprochement entre
les cours d’Espagne et d’Angleterre. Cédant à un accès de mauvaise
humeur, le ministre de Louis XIII a voulu combattre l’artiste sur le ter-
rain de la peinture. Comment croire que Richelieu, qui n’était nullement
étranger aux questions d’art, ait pu professer pour le talent de Josepin
un enthousiasme aussi déplacé? Le pauvre cavalier d’Arpino était alors
un vieillard fatigué et sans flamme. Si Marie de Médicis l’avait choisi, au
détriment du vaillant poète dont le Cardinal ne sait pas même écrire le
nom, il aurait attristé le Luxembourg par le spectacle navrant de la déca-
dence italienne. La reine mère ne se laissa pas persuader.
Et cependant, bien qu’il soit difficile aujourd’hui de pénétrer dans la
conscience de Marie de Médicis, il ne serait pas impossible qu’elle eût
été un instant troublée et qu’elle eût pensé à faire venir à Paris un artiste
italien. Un autre bon apôtre, le cardinal Spada, lui écrivit de Bologne, le
23 juin 1629, une lettre dont le sens n’est pas absolument clair, mais qui
donne beaucoup à réfléchir. Il résulte de ce document que la reine avait
fait prier Spada de s’informer si Guido Reni pourrait venir à Paris « afin-
die, dit le Cardinal, s'impieghi nel clipengere una delle galerie die sono
nel palazzo di V. M. » Y avait-il donc au Luxembourg tant de galeries
qui attendissent encore une décoration? On peut en douter; on peut
croire qu’il s’agissait bien de celle qui avait été promise à Rubens. On
voit dans les dernières lignes de la lettre de Spada qu’il était question
d’une œuvre importante, car le Cardinal parle de la grandezza de Vopra.
desiderata ; il déclare qu’il y faut une main jeune et vigoureuse, et après
avoir écarté Guido Reni, qui ne peut pas partir, et Josepin, falto vecchio
e poco mendie inutile, il propose carrément d’envoyer le Guerchin, qui
est adoré à Bologne. On frémit à la pensée du péril dont la Lrance fut
ce jour-là menacée, et l’on est tenté de croire que Spada était une ma-
rionnette dont Richelieu tenait le fil U
Mais, grâce sans doute à l'abbé de Saint-Ambroise, qui n’écrivait pas
beaucoup à Rubens, mais qui lui restait fidèle, Marie de Médicis n’écoula
ni le cardinal français ni le cardinal italien. Guerchin ne vint pas à Paris.
Rubens continua ses préparatifs et commença même quelques grandes
toiles. En 1630, il était à l’œuvre; mais là encore il eut de violents ennuis
au sujet de la dimension de ses tableaux. Une lettre qu’on peut dater
du mois d’octobre nous conte ses peines « touchant les mesures et sym-
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Si Richelieu n’avait écrit que cette lettre ridicule, il ferait une triste
figure dans l’bistoire. On croit rêver quand on lit ce papier compromet-
tant. Une pareille proposition ne pouvait être inspirée que par des ran-
cunes politiques. Rubens était alors à Madrid, où il s’occupait d’une
affaire qui déplaisait fort au Cardinal, le projet de rapprochement entre
les cours d’Espagne et d’Angleterre. Cédant à un accès de mauvaise
humeur, le ministre de Louis XIII a voulu combattre l’artiste sur le ter-
rain de la peinture. Comment croire que Richelieu, qui n’était nullement
étranger aux questions d’art, ait pu professer pour le talent de Josepin
un enthousiasme aussi déplacé? Le pauvre cavalier d’Arpino était alors
un vieillard fatigué et sans flamme. Si Marie de Médicis l’avait choisi, au
détriment du vaillant poète dont le Cardinal ne sait pas même écrire le
nom, il aurait attristé le Luxembourg par le spectacle navrant de la déca-
dence italienne. La reine mère ne se laissa pas persuader.
Et cependant, bien qu’il soit difficile aujourd’hui de pénétrer dans la
conscience de Marie de Médicis, il ne serait pas impossible qu’elle eût
été un instant troublée et qu’elle eût pensé à faire venir à Paris un artiste
italien. Un autre bon apôtre, le cardinal Spada, lui écrivit de Bologne, le
23 juin 1629, une lettre dont le sens n’est pas absolument clair, mais qui
donne beaucoup à réfléchir. Il résulte de ce document que la reine avait
fait prier Spada de s’informer si Guido Reni pourrait venir à Paris « afin-
die, dit le Cardinal, s'impieghi nel clipengere una delle galerie die sono
nel palazzo di V. M. » Y avait-il donc au Luxembourg tant de galeries
qui attendissent encore une décoration? On peut en douter; on peut
croire qu’il s’agissait bien de celle qui avait été promise à Rubens. On
voit dans les dernières lignes de la lettre de Spada qu’il était question
d’une œuvre importante, car le Cardinal parle de la grandezza de Vopra.
desiderata ; il déclare qu’il y faut une main jeune et vigoureuse, et après
avoir écarté Guido Reni, qui ne peut pas partir, et Josepin, falto vecchio
e poco mendie inutile, il propose carrément d’envoyer le Guerchin, qui
est adoré à Bologne. On frémit à la pensée du péril dont la Lrance fut
ce jour-là menacée, et l’on est tenté de croire que Spada était une ma-
rionnette dont Richelieu tenait le fil U
Mais, grâce sans doute à l'abbé de Saint-Ambroise, qui n’écrivait pas
beaucoup à Rubens, mais qui lui restait fidèle, Marie de Médicis n’écoula
ni le cardinal français ni le cardinal italien. Guerchin ne vint pas à Paris.
Rubens continua ses préparatifs et commença même quelques grandes
toiles. En 1630, il était à l’œuvre; mais là encore il eut de violents ennuis
au sujet de la dimension de ses tableaux. Une lettre qu’on peut dater
du mois d’octobre nous conte ses peines « touchant les mesures et sym-