GAZETTE DES BEAUX-ARTS
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tion; car, en somme, si c’était du Léonard amoindri, c’était cependant
du Léonard. Tous les peintres siennois qui étaient encore assez
jeunes pour conserver quelque souplesse, en voyant que c’en était
fait des vieilles traditions de leur école., traditions que le natura-
lisme et la renaissance classique du xv° siècle avaient laissées
intactes, obéirent au mot d’ordre que leur donnait Sodoma, et se
mirent à imiter ce peintre ou leurs voisins Ies plus proches. Fra
Paolino apporta de Florence le style de son maître, Fra Bartolommeo,
tandis que Pinturicchio et Pérugin apportaient le leur de l’Ombrie.
En même temps, Sodoma et Peruzzi, qui venaient de Rome, intro-
duisirent à Sienne un peu du style de Raphaël, qui était lui-même
un éclectisme transcendant, dont les éléments n’étaient pas fort
différents du leur. Les Siennois commencèrent à aftluer à Florence.
De ce mouvement, il résulta une fusion des plus curieuses. Ne possé-
dant pas une personnalité assez tranchée pour résister aux influences
voisines, les peintres de Sienne s’assimilèrent peu à peu les styles de
Fra Bartolommeo, de Raphaël et de Sodoma — dont chacun, soit
dit en passant, avait des points de contact avec les deux autres,
— à tel point qu’il devient à peu près impossible de distinguer sous
quelle influence particulière ils ont exécuté tel ou tel ouvrage.
En somme, l'influence dominante fut celle de Fra Bartolommeo ;
on l’aperçoit clairement dans le style du seul artiste siennois qui
fut véritablement doué, quoiqu’il usât assez mal de ses dons : je
veux parler de Domenico Beccafumi. Dans ses personnages, Becca-
fumi imite souvent Sodoma, et quelquefois Raphaël, qu’il a du
connaître à Rome; mais, dans ses procédés, il est plus fidèle à Fra
Bartolommeo, et le grand artiste florentin n’a jamais été imité de plus
près que dans la meilleure œuvre de Beccafumi., sa Sainte Cathe-
rine recevant les stigmates (Académie de Sienne, salle x, n° 10). Cet
ouvrage fait comprendre l'enthousiasme de Vasari pour Beccafumi,
qu’il place même au-dessus de Sodoma. On y trouve, en effet, beau-
coup du sentiment ordinaire du Frate ; les figures ont la délicate
beauté habituelle à ce maître; à ses paysages, Beccafumi a éga-
lement emprunté celle atmosphère vaporeuse et ce ciel d’une si bel le
allure que nous pouvons admirer dans la Vision de saint Bernard,
ou dans les chefs-d’œuvre de Fra Bartolommeo qui se trouvent à
Lucques. Mais par quoi Beccafumi se rapproche encore plus de son
maître, c’est par l’éclat, par la patine, par la science du clair-obscur.
La fusion des styles, que je viens d’indiquer comme une des carac-
téristiques de l’école siennoise du xvc siècle, est précisément ce que
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tion; car, en somme, si c’était du Léonard amoindri, c’était cependant
du Léonard. Tous les peintres siennois qui étaient encore assez
jeunes pour conserver quelque souplesse, en voyant que c’en était
fait des vieilles traditions de leur école., traditions que le natura-
lisme et la renaissance classique du xv° siècle avaient laissées
intactes, obéirent au mot d’ordre que leur donnait Sodoma, et se
mirent à imiter ce peintre ou leurs voisins Ies plus proches. Fra
Paolino apporta de Florence le style de son maître, Fra Bartolommeo,
tandis que Pinturicchio et Pérugin apportaient le leur de l’Ombrie.
En même temps, Sodoma et Peruzzi, qui venaient de Rome, intro-
duisirent à Sienne un peu du style de Raphaël, qui était lui-même
un éclectisme transcendant, dont les éléments n’étaient pas fort
différents du leur. Les Siennois commencèrent à aftluer à Florence.
De ce mouvement, il résulta une fusion des plus curieuses. Ne possé-
dant pas une personnalité assez tranchée pour résister aux influences
voisines, les peintres de Sienne s’assimilèrent peu à peu les styles de
Fra Bartolommeo, de Raphaël et de Sodoma — dont chacun, soit
dit en passant, avait des points de contact avec les deux autres,
— à tel point qu’il devient à peu près impossible de distinguer sous
quelle influence particulière ils ont exécuté tel ou tel ouvrage.
En somme, l'influence dominante fut celle de Fra Bartolommeo ;
on l’aperçoit clairement dans le style du seul artiste siennois qui
fut véritablement doué, quoiqu’il usât assez mal de ses dons : je
veux parler de Domenico Beccafumi. Dans ses personnages, Becca-
fumi imite souvent Sodoma, et quelquefois Raphaël, qu’il a du
connaître à Rome; mais, dans ses procédés, il est plus fidèle à Fra
Bartolommeo, et le grand artiste florentin n’a jamais été imité de plus
près que dans la meilleure œuvre de Beccafumi., sa Sainte Cathe-
rine recevant les stigmates (Académie de Sienne, salle x, n° 10). Cet
ouvrage fait comprendre l'enthousiasme de Vasari pour Beccafumi,
qu’il place même au-dessus de Sodoma. On y trouve, en effet, beau-
coup du sentiment ordinaire du Frate ; les figures ont la délicate
beauté habituelle à ce maître; à ses paysages, Beccafumi a éga-
lement emprunté celle atmosphère vaporeuse et ce ciel d’une si bel le
allure que nous pouvons admirer dans la Vision de saint Bernard,
ou dans les chefs-d’œuvre de Fra Bartolommeo qui se trouvent à
Lucques. Mais par quoi Beccafumi se rapproche encore plus de son
maître, c’est par l’éclat, par la patine, par la science du clair-obscur.
La fusion des styles, que je viens d’indiquer comme une des carac-
téristiques de l’école siennoise du xvc siècle, est précisément ce que