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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
moment où le roi d’Espagne allait recueillir l’héritage de la maison
de Bourgogne. Ce buste était un reliquaire, ainsi que l’atteste l'ou-
verture pratiquée sur la poitrine au-dessous du mors ou fermait, qui
réunit les bords de la lourde chape aux orfrois chargés de broderie
qui semblent peser sur les épaules du saint. Cette ouverture est
fermée aujourd’hui par un panneau mobile, et l’aspect généra] de la
sculpture y gagne incontestablement ; mais j’ai connu ce buste sans
cette adjonction, devenue très nécessaire le jour où il a cessé d’être
un objet de dévotion pour les fidèles, pour devenir un objet d’étude
pour les artistes. Cette figure est le spécimen d’un art qui n’est
pas représenté dans nos musées, au Louvre surtout, où je ne vois
guère que le beau calvaire de Nivelles à signaler parmi les œuvres
flamandes du commencement du xvic siècle appartenant à l’école
réaliste. La pierre tombale de Jean de Cromoy est une œuvre superbe,
sans doute, par sa composition et la finesse de sa technique ; mais
c’est une œuvre remplie d’italianisme ; Bernard van Orley et ses
souvenirs, rapportés d’Italie, ne sont pas loin ; un Milanais ou un
Florentin n’eût pas imaginé une autre décoration ; le Flamand ne
reparaît que dans l’exécution, un peu plus lourde et plus confuse,
trop surchargée, en un mot. O11 sent la main d’un artiste, tout
joyeux de dessiner des arabesques et de sculpter des candélabres à
la mode, mais qui, en sa prime jeunesse, a appris son métier chez
un sculpteur gothique. Le buste de Saint-Trond, bien que du premier
quart du xvic siècle, est encore conçu et exécuté suivant les errements
du moyen âge ; toute l’ornementation est gothique, aussi bien les
broderies de la mitre, solidement assise sur la tête, que les figures
d’apôtres brodées sur la chape. Le visage, au nez effilé et un peu long,
comme dans beaucoup de sculptures sur bois que le temps semble
avoir un peu gauchies, non sans leur donner parfois un certain
charme de plus, a une expression de bienveillance indéfinissable qui
réside dans la grâce un peu charnue de la bouche, dans le modelé
très savant et très réaliste des joues, modelé exempt de cette brutalité
qui dépare trop de sculptures de la même école et surtout les sculp-
tures exécutées sur les confins des pays germaniques. Ce buste est
une maîtresse pièce d’une école que les savants belges commencent
à peine à faire sortir de l’ombre, bien que les monuments en soient
encore nombreux, et qui, en tout cas, n’est guère connue chez
nous par des spécimens de cette valeur. Car, dans cette sculp-
ture flamande — et dans la peinture aussi — il faut toujours, ce me
semble, faire deux parts : il faut classer, d’un côté, les morceaux qui
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moment où le roi d’Espagne allait recueillir l’héritage de la maison
de Bourgogne. Ce buste était un reliquaire, ainsi que l’atteste l'ou-
verture pratiquée sur la poitrine au-dessous du mors ou fermait, qui
réunit les bords de la lourde chape aux orfrois chargés de broderie
qui semblent peser sur les épaules du saint. Cette ouverture est
fermée aujourd’hui par un panneau mobile, et l’aspect généra] de la
sculpture y gagne incontestablement ; mais j’ai connu ce buste sans
cette adjonction, devenue très nécessaire le jour où il a cessé d’être
un objet de dévotion pour les fidèles, pour devenir un objet d’étude
pour les artistes. Cette figure est le spécimen d’un art qui n’est
pas représenté dans nos musées, au Louvre surtout, où je ne vois
guère que le beau calvaire de Nivelles à signaler parmi les œuvres
flamandes du commencement du xvic siècle appartenant à l’école
réaliste. La pierre tombale de Jean de Cromoy est une œuvre superbe,
sans doute, par sa composition et la finesse de sa technique ; mais
c’est une œuvre remplie d’italianisme ; Bernard van Orley et ses
souvenirs, rapportés d’Italie, ne sont pas loin ; un Milanais ou un
Florentin n’eût pas imaginé une autre décoration ; le Flamand ne
reparaît que dans l’exécution, un peu plus lourde et plus confuse,
trop surchargée, en un mot. O11 sent la main d’un artiste, tout
joyeux de dessiner des arabesques et de sculpter des candélabres à
la mode, mais qui, en sa prime jeunesse, a appris son métier chez
un sculpteur gothique. Le buste de Saint-Trond, bien que du premier
quart du xvic siècle, est encore conçu et exécuté suivant les errements
du moyen âge ; toute l’ornementation est gothique, aussi bien les
broderies de la mitre, solidement assise sur la tête, que les figures
d’apôtres brodées sur la chape. Le visage, au nez effilé et un peu long,
comme dans beaucoup de sculptures sur bois que le temps semble
avoir un peu gauchies, non sans leur donner parfois un certain
charme de plus, a une expression de bienveillance indéfinissable qui
réside dans la grâce un peu charnue de la bouche, dans le modelé
très savant et très réaliste des joues, modelé exempt de cette brutalité
qui dépare trop de sculptures de la même école et surtout les sculp-
tures exécutées sur les confins des pays germaniques. Ce buste est
une maîtresse pièce d’une école que les savants belges commencent
à peine à faire sortir de l’ombre, bien que les monuments en soient
encore nombreux, et qui, en tout cas, n’est guère connue chez
nous par des spécimens de cette valeur. Car, dans cette sculp-
ture flamande — et dans la peinture aussi — il faut toujours, ce me
semble, faire deux parts : il faut classer, d’un côté, les morceaux qui