242
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
des moyens compliqués et des cuisines, savantes; ses aquarelles, très
tripotées, avaient admis le recours au crayon lithographique et toléré
même les reprises, les égratignurcs du grattoir ; la hâte du voyage,
la nécessité du fa presto abolit l’artifice de ces opérations laborieuses
pour laisser paraître affinés, délicatisës, les dons du coloriste. Le pro-
grès réside dans la légèreté expéditive de la touche, dans le renon-
cement à l'effet brutal obtenu par des repoussoirs violents ; un seul
souci prédomine, celui de l’enveloppe diaphane et de la nuance douce,
exquise au regard. La cendre des gris s’avive de réveillons de corail
dans le prestigieux portrait d’une Femme en travesti d’après Longhi ;
les effigies quasi caricaturales des Stenlerelio1, aux costumes bigarrés
et loqueteux, n'atteignent pas à un agrément d’aspect moins piquant.
Jules de Goncourt trouve des tons de matières précieuses pour ren-
dre, avec le passé du temps, les vieux édifices d’Italie, la loggia de
Brescia, les palais de Venise et de Bologne, dorés et roses sous le ciel
bleu ; à Vérone, à la Piazza dell’Erbe où grouille une foule lillipu-
tienne, les fresques à demi effacées transparaissent, avec le vague
du rêve, sur les murs rouges des anciennes maisons; la blancheur
ensoleillée d’une villa de Florence éclate comme une perle dans un
écrin d’azur, — et, à mesure que les feuillets tournent, le charme,
bétonnante vie de ces instantanés fait doucement refluer la pensée,
en deçà du siècle, vers Gabriel de Saint-Aubin.
A quoi bon, d’ailleurs, s’essayer à donner l’idée de telles images
puisque leur description forme le texte de Y Italie cl'hier? Elles cons-
tituent, au dire d’Edmond de Goncourt, « un double » plastique de la
peinture littéraire, une illustration destinée à faire parler à la mé-
moire les souvenirs écrits. Et désormais, sauf de bien rares aven-
tures2^ l’aquarelliste n'interviendra plus que pour prêter aide au
romancier, pour lui fournir le secours, l’appoint désirable d’une
documentation dessinée, enluminée. Si Jules de Goncourt rode rue
Clocheperce, c’est avec l’intention d’y prendre une étude « pour un
livre projeté » ; le Portrait de jeune fille, tracé le 19 septembre 1859,
doit servir à mieux incarner le type, la physionomie, les allures de
•1. « Slenterello n’est pas un type, mais un homme : il est le gros bon sens
et l’opinion publique de la foire, sous le faciès d’un rustre indépendant, dont la
voix roule des éclats paphlagoniens et les gros mots salés d’un carnaval aristo-
phanesque. Slenterello représente la liberté du dire et du rire réfugiée sur les
tréteaux... » (L'Italie cl,'hier, p. 80.)
2. Nous songeons, en cet instant, à l’aquarelle exécutée d’après la salle à
manger de l’appartement des Goncourt, rue Saint-Georges,
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
des moyens compliqués et des cuisines, savantes; ses aquarelles, très
tripotées, avaient admis le recours au crayon lithographique et toléré
même les reprises, les égratignurcs du grattoir ; la hâte du voyage,
la nécessité du fa presto abolit l’artifice de ces opérations laborieuses
pour laisser paraître affinés, délicatisës, les dons du coloriste. Le pro-
grès réside dans la légèreté expéditive de la touche, dans le renon-
cement à l'effet brutal obtenu par des repoussoirs violents ; un seul
souci prédomine, celui de l’enveloppe diaphane et de la nuance douce,
exquise au regard. La cendre des gris s’avive de réveillons de corail
dans le prestigieux portrait d’une Femme en travesti d’après Longhi ;
les effigies quasi caricaturales des Stenlerelio1, aux costumes bigarrés
et loqueteux, n'atteignent pas à un agrément d’aspect moins piquant.
Jules de Goncourt trouve des tons de matières précieuses pour ren-
dre, avec le passé du temps, les vieux édifices d’Italie, la loggia de
Brescia, les palais de Venise et de Bologne, dorés et roses sous le ciel
bleu ; à Vérone, à la Piazza dell’Erbe où grouille une foule lillipu-
tienne, les fresques à demi effacées transparaissent, avec le vague
du rêve, sur les murs rouges des anciennes maisons; la blancheur
ensoleillée d’une villa de Florence éclate comme une perle dans un
écrin d’azur, — et, à mesure que les feuillets tournent, le charme,
bétonnante vie de ces instantanés fait doucement refluer la pensée,
en deçà du siècle, vers Gabriel de Saint-Aubin.
A quoi bon, d’ailleurs, s’essayer à donner l’idée de telles images
puisque leur description forme le texte de Y Italie cl'hier? Elles cons-
tituent, au dire d’Edmond de Goncourt, « un double » plastique de la
peinture littéraire, une illustration destinée à faire parler à la mé-
moire les souvenirs écrits. Et désormais, sauf de bien rares aven-
tures2^ l’aquarelliste n'interviendra plus que pour prêter aide au
romancier, pour lui fournir le secours, l’appoint désirable d’une
documentation dessinée, enluminée. Si Jules de Goncourt rode rue
Clocheperce, c’est avec l’intention d’y prendre une étude « pour un
livre projeté » ; le Portrait de jeune fille, tracé le 19 septembre 1859,
doit servir à mieux incarner le type, la physionomie, les allures de
•1. « Slenterello n’est pas un type, mais un homme : il est le gros bon sens
et l’opinion publique de la foire, sous le faciès d’un rustre indépendant, dont la
voix roule des éclats paphlagoniens et les gros mots salés d’un carnaval aristo-
phanesque. Slenterello représente la liberté du dire et du rire réfugiée sur les
tréteaux... » (L'Italie cl,'hier, p. 80.)
2. Nous songeons, en cet instant, à l’aquarelle exécutée d’après la salle à
manger de l’appartement des Goncourt, rue Saint-Georges,