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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
obstinés et des admirations exclusives, un jugement plus critique
et moins prévenu ? Il est à craindre qu’on ne rencontre encore des
passions extrêmes ; mais la masse du public, qui a oublié ou qui n’a
pas connu les querelles d'autrefois, viendra sûrement étudier avec
calme et intérêt, quelles que soient les divergences de sentiments
esthétiques, ces manifestations, qui, du reste, ont été depuis très
dépassées, dans ce que les esprits modérés appelaient jadis leurs
excentricités, par tant d’audacieux, de malins ou d’habiles qui fré-
quentent nos expositions.
De quoi se compose au juste cette collection Caillebotte, dont le
legs illustrera le testateur plus que le mérite certain des tableaux
qui la composent ? De soixante-six toiles ou pastels, dans la collec-
tion telle qu’elle était à la mort du donateur, parmi lesquels, suivant
un arrangement intervenu entre les parties intéressées, quarante
seulement, en y comprenant deux dessins de Millet, recueillis par le
Louvre, ont été retenus par l’Administration. Ces trente-huit ou-
vrages, attribués au Luxembourg, comprennent trente et une pein-
tures et sept pastels, signés par un petit groupe d’artistes qualifiés de
la dénomination à'impressionnistes: Manet, MM. Degas, Claude Monet,
Renoir, Pissarro, Sisley, Cézanne. La famille de Caillebotte a com-
plété, par le don des Raboteurs de parquet et des Toits sous la neige,
cette série dans laquelle le testateur s’était modestement oublié.
Impressionnistes ! voilà le gros mot! D’où leur vient ce nom et
que veut-il dire? — On raconte qu'il leur a été donné par leurs
adversaires et qu'ils ont accueilli avec empressement ce baptême
qu'ils recevaient de leurs ennemis eux-mêmes, dans le feu de la
lutte. Si divers que fussent leur but, leur talent, leurs origines, ce
vocable résumait pour eux leur programme ; bien que l’épithète s'a-
dressât plus particulièrement à quelques-uns d’entre eux, tous se
rangèrent sous cette enseigne.
Qu’entendaient-ils par ce nom ? Que signifiait exactement ce
groupement? A vrai dire, au début, ils se groupèrent, nous disent
les deux principaux historiens de l’école, M. Th. Dure t1 et M. Gus-
tave Geffroy2, « au hasard des rencontres ». Quelques-uns s étaient
connus à l’atelier ; c’était Claude Monet, Renoir, Sisley, élèves de
Gleyre, qui fut aussi le maître d’un artiste qui a fait sa fortune à part
et qui eût bien pu faire cause commune avec ses confrères français :
le peintre américain Whistler. M. Pissarro se joignit à eux, suivi
1. Critique d’avant-garde. Charpentier, 1885, in-18.
2. La Vie artistique (3° série). Dentu, 1894.
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obstinés et des admirations exclusives, un jugement plus critique
et moins prévenu ? Il est à craindre qu’on ne rencontre encore des
passions extrêmes ; mais la masse du public, qui a oublié ou qui n’a
pas connu les querelles d'autrefois, viendra sûrement étudier avec
calme et intérêt, quelles que soient les divergences de sentiments
esthétiques, ces manifestations, qui, du reste, ont été depuis très
dépassées, dans ce que les esprits modérés appelaient jadis leurs
excentricités, par tant d’audacieux, de malins ou d’habiles qui fré-
quentent nos expositions.
De quoi se compose au juste cette collection Caillebotte, dont le
legs illustrera le testateur plus que le mérite certain des tableaux
qui la composent ? De soixante-six toiles ou pastels, dans la collec-
tion telle qu’elle était à la mort du donateur, parmi lesquels, suivant
un arrangement intervenu entre les parties intéressées, quarante
seulement, en y comprenant deux dessins de Millet, recueillis par le
Louvre, ont été retenus par l’Administration. Ces trente-huit ou-
vrages, attribués au Luxembourg, comprennent trente et une pein-
tures et sept pastels, signés par un petit groupe d’artistes qualifiés de
la dénomination à'impressionnistes: Manet, MM. Degas, Claude Monet,
Renoir, Pissarro, Sisley, Cézanne. La famille de Caillebotte a com-
plété, par le don des Raboteurs de parquet et des Toits sous la neige,
cette série dans laquelle le testateur s’était modestement oublié.
Impressionnistes ! voilà le gros mot! D’où leur vient ce nom et
que veut-il dire? — On raconte qu'il leur a été donné par leurs
adversaires et qu'ils ont accueilli avec empressement ce baptême
qu'ils recevaient de leurs ennemis eux-mêmes, dans le feu de la
lutte. Si divers que fussent leur but, leur talent, leurs origines, ce
vocable résumait pour eux leur programme ; bien que l’épithète s'a-
dressât plus particulièrement à quelques-uns d’entre eux, tous se
rangèrent sous cette enseigne.
Qu’entendaient-ils par ce nom ? Que signifiait exactement ce
groupement? A vrai dire, au début, ils se groupèrent, nous disent
les deux principaux historiens de l’école, M. Th. Dure t1 et M. Gus-
tave Geffroy2, « au hasard des rencontres ». Quelques-uns s étaient
connus à l’atelier ; c’était Claude Monet, Renoir, Sisley, élèves de
Gleyre, qui fut aussi le maître d’un artiste qui a fait sa fortune à part
et qui eût bien pu faire cause commune avec ses confrères français :
le peintre américain Whistler. M. Pissarro se joignit à eux, suivi
1. Critique d’avant-garde. Charpentier, 1885, in-18.
2. La Vie artistique (3° série). Dentu, 1894.