LES SALONS AU PALAIS DE L’INDUSTRIE
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sa course ; là qu’Ingres et Delacroix, comme jadis Voltaire et Rous-
seau, purent entendre pour la première fois
La voix du genre humain qui les réconcilie ;
là que les grands paysagistes, après tant d'années d’injustice, recueil-
lirent leurs premiers lauriers; là enfin que la France étonnée com-
mença de connaître qu’il existait peut-être des écoles étrangères,
tandis que dans une « baraque » voisine du « palais » maître Courbet
installait, en sa personne et en son œuvre, le réalisme militant.
C’est de ce côté que semblaient alors regarder tous les « jeunes ».
Ils disaient volontiers, avec Hegel, que le romantisme parvenu au
dernier terme de son évolution, a épuisé toute sa destinée et accom-
pli celle de l’art lui-même. Quand la personnalité est arrivée à son
point extrême de développement, que tout est soumis à l’instinct
individuel, à la fantaisie et au talent de l’artiste érigé en maître
absolu de toute réalité, L’art, n’étant plus que l’habileté supérieure à
représenter les apparences, est menacé de finir dans l’accidentel. Il
chercherait en vain une matière nouvelle dans les anecdotes spiri-
tuelles ou sentimentales ; les Hamon ne survivent pas à la mode qui
les a créés. Revenons à la nature et à la vérité. Voici son autel et
son prêtre. « Aujourd’hui, disait — clamait plutôt — Courbet, d’après
la dernière expression de la philosophie, on est obligé de raisonner
même dans l’art et de ne laisser jamais vaincre la logique par le
sentiment. La raison doit être en tout la dominante de l’homme. Mon
expression d’art est la dernière, parce qu’elleest la seule qui ait, jus-
qu’à présent, combiné tous les éléments. En concluant à la négation
de l’idéal et de tout ce qui s’ensuit, j’arrive en plein à l’émancipation
de l’individu et finalement à la démocratie. Le réalisme est par
essence l’art démocratique... »
En 1857, au premier Salon ouvert dans le palais des Champs-
Elysées, il exposait les Demoiselles des bords de la Seine, et
Proudhon commentait d’une ardente éloquence cette page, d’après
lui symbolique. Il révélait au monde étonné que de ces deux grosses
filles, grassement et largement peintes d’ailleurs, -— mais qu'im-
porte à un philosophe, qu’il s’appelle Proudhon ou Pascal, la
« peinture », cette « vanité » ! — l’une, la brune, « aux traits accen-
tués et légèrement virils », étendue sur l’herbe, « pressant la terre de
sa poitrine brûlante, ses yeux à demi ouverts nageant dans une
érotique rêverie », c’est « Phèdre qui rêve d’Hippolyte, c’est Lélia
qui accuse les hommes des infortunes de son cœur, qui leur repro-
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sa course ; là qu’Ingres et Delacroix, comme jadis Voltaire et Rous-
seau, purent entendre pour la première fois
La voix du genre humain qui les réconcilie ;
là que les grands paysagistes, après tant d'années d’injustice, recueil-
lirent leurs premiers lauriers; là enfin que la France étonnée com-
mença de connaître qu’il existait peut-être des écoles étrangères,
tandis que dans une « baraque » voisine du « palais » maître Courbet
installait, en sa personne et en son œuvre, le réalisme militant.
C’est de ce côté que semblaient alors regarder tous les « jeunes ».
Ils disaient volontiers, avec Hegel, que le romantisme parvenu au
dernier terme de son évolution, a épuisé toute sa destinée et accom-
pli celle de l’art lui-même. Quand la personnalité est arrivée à son
point extrême de développement, que tout est soumis à l’instinct
individuel, à la fantaisie et au talent de l’artiste érigé en maître
absolu de toute réalité, L’art, n’étant plus que l’habileté supérieure à
représenter les apparences, est menacé de finir dans l’accidentel. Il
chercherait en vain une matière nouvelle dans les anecdotes spiri-
tuelles ou sentimentales ; les Hamon ne survivent pas à la mode qui
les a créés. Revenons à la nature et à la vérité. Voici son autel et
son prêtre. « Aujourd’hui, disait — clamait plutôt — Courbet, d’après
la dernière expression de la philosophie, on est obligé de raisonner
même dans l’art et de ne laisser jamais vaincre la logique par le
sentiment. La raison doit être en tout la dominante de l’homme. Mon
expression d’art est la dernière, parce qu’elleest la seule qui ait, jus-
qu’à présent, combiné tous les éléments. En concluant à la négation
de l’idéal et de tout ce qui s’ensuit, j’arrive en plein à l’émancipation
de l’individu et finalement à la démocratie. Le réalisme est par
essence l’art démocratique... »
En 1857, au premier Salon ouvert dans le palais des Champs-
Elysées, il exposait les Demoiselles des bords de la Seine, et
Proudhon commentait d’une ardente éloquence cette page, d’après
lui symbolique. Il révélait au monde étonné que de ces deux grosses
filles, grassement et largement peintes d’ailleurs, -— mais qu'im-
porte à un philosophe, qu’il s’appelle Proudhon ou Pascal, la
« peinture », cette « vanité » ! — l’une, la brune, « aux traits accen-
tués et légèrement virils », étendue sur l’herbe, « pressant la terre de
sa poitrine brûlante, ses yeux à demi ouverts nageant dans une
érotique rêverie », c’est « Phèdre qui rêve d’Hippolyte, c’est Lélia
qui accuse les hommes des infortunes de son cœur, qui leur repro-