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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
L’autre tableau, La Faite en Égypte, a peut-être un charme plus
pénétrant. L’atmosphère bleue d’une nuit d’Orient, où luit une grande
lune pâle, les profondeurs d’un désert montueux, desséché, raviné
par des pluies dont toutes les eaux sont bues depuis longtemps, tout
cela est exprimé avec une précision plus souple, une lumière plus
enveloppante.
M. Bouguereau expose aussi deux tableaux des plus importants
dans son œuvre. Pi ’ès du Christ en croix, un homme passe. Lui aussi
porte sa croix et plie sous le fardeau. Il voit le divin supplicié qui,
plus encore que lui, a connu la cruelle agonie; il s’approche, l’enlace
de son bras, et s'appuie pour se soutenir sur la poitrine du Christ ;
alors la plaie s’ouvre au liane de Jésus; un flot de sang s’écoule et
vient baigner la main du malheureux. Yoilà en deux mots la donnée.
Vous sentez l’émotion, le sens des tristesses humaines qui s’en dé-
gage. Ce sujet fait grand honneur à Bouguereau. Il La traité suivant
ses habitudes de palette, avec cette facture qui lui appartient, enne-
mie des âpretés qu’un autre aurait pu croire nécessaires, et que sa
tendance d’esprit le porte à éviter. La coloration est sobre et pondé-
rée ; la tête de l'homme est d’une réalité discrète, mais cependant
assez accusée ; c’est un des beaux morceaux du tableau.
La Blessure d’Amour est causée, vous le devinez, par la flèche
de Cupidon lui-même. Celui qui a fait cette espièglerie dangereuse
se sauve et s’envole en riant. Il nous montre, du reste, un dos très
bon à voir, peint avec une souplesse inimitable. Un autre amour,
plus compatissant, regarde la pauvre tille, cherchant à retirer la mé-
chante flèche qui l’a percée bien près du cœur. Eisen, Saint-Aubin et
Moreau le jeune auraient bien volontiers traité ce sujet aimable,
galant prétexte pour faire entrer dans un heureux équilibre de lignes
des morceaux jolis à peindre. Quand on voit couvrir d’or les char-
mantes fantaisies sorties des mains de nos peintres du xvmc siècle,
et la large part que nous leur faisons dans nos admirations, on
peut se demander pourquoi certains esthètes marchanderaient à
Bouguereau une place à côté d’eux. Comme ceux-là, il a su donner
le sentiment de ce que les contemporains appellent grâce, aimable
élégance, beauté juvénile. Ce ne sont pas des dons à dédaigner, et
l’on s’explique leur succès. Observons enfin, que le maître qui a
peint la Blessure d'Amour a su faire en même temps la noble toile
qu’il intitule Compassion, et le rapprochement n’est pas indifférent.
ALBERT MAIGNAN
(La suite 'prochainement.)
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
L’autre tableau, La Faite en Égypte, a peut-être un charme plus
pénétrant. L’atmosphère bleue d’une nuit d’Orient, où luit une grande
lune pâle, les profondeurs d’un désert montueux, desséché, raviné
par des pluies dont toutes les eaux sont bues depuis longtemps, tout
cela est exprimé avec une précision plus souple, une lumière plus
enveloppante.
M. Bouguereau expose aussi deux tableaux des plus importants
dans son œuvre. Pi ’ès du Christ en croix, un homme passe. Lui aussi
porte sa croix et plie sous le fardeau. Il voit le divin supplicié qui,
plus encore que lui, a connu la cruelle agonie; il s’approche, l’enlace
de son bras, et s'appuie pour se soutenir sur la poitrine du Christ ;
alors la plaie s’ouvre au liane de Jésus; un flot de sang s’écoule et
vient baigner la main du malheureux. Yoilà en deux mots la donnée.
Vous sentez l’émotion, le sens des tristesses humaines qui s’en dé-
gage. Ce sujet fait grand honneur à Bouguereau. Il La traité suivant
ses habitudes de palette, avec cette facture qui lui appartient, enne-
mie des âpretés qu’un autre aurait pu croire nécessaires, et que sa
tendance d’esprit le porte à éviter. La coloration est sobre et pondé-
rée ; la tête de l'homme est d’une réalité discrète, mais cependant
assez accusée ; c’est un des beaux morceaux du tableau.
La Blessure d’Amour est causée, vous le devinez, par la flèche
de Cupidon lui-même. Celui qui a fait cette espièglerie dangereuse
se sauve et s’envole en riant. Il nous montre, du reste, un dos très
bon à voir, peint avec une souplesse inimitable. Un autre amour,
plus compatissant, regarde la pauvre tille, cherchant à retirer la mé-
chante flèche qui l’a percée bien près du cœur. Eisen, Saint-Aubin et
Moreau le jeune auraient bien volontiers traité ce sujet aimable,
galant prétexte pour faire entrer dans un heureux équilibre de lignes
des morceaux jolis à peindre. Quand on voit couvrir d’or les char-
mantes fantaisies sorties des mains de nos peintres du xvmc siècle,
et la large part que nous leur faisons dans nos admirations, on
peut se demander pourquoi certains esthètes marchanderaient à
Bouguereau une place à côté d’eux. Comme ceux-là, il a su donner
le sentiment de ce que les contemporains appellent grâce, aimable
élégance, beauté juvénile. Ce ne sont pas des dons à dédaigner, et
l’on s’explique leur succès. Observons enfin, que le maître qui a
peint la Blessure d'Amour a su faire en même temps la noble toile
qu’il intitule Compassion, et le rapprochement n’est pas indifférent.
ALBERT MAIGNAN
(La suite 'prochainement.)