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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
s’exercent dans la critique de l’art contemporain ; la mission leur
incombe d’épier le renouveau de la peinture aux vitrines de la rue
Laffitte, et tour à tour leur chronique se consacre au peintre qui
meurt, à l’estampe qui paraît, à l’exposition qui s’ouvre b Salonniers,
les deux frères tiennent le rôle avec l’attention scrupuleuse de néo-
phytes, commentant tout par le détail, le bon et le passable, le tableau
et la statue, le dessin et la lithographie, le pastel et jusqu’au lavis
des architectes ; ils professent la générosité lucide qui néglige les
réputations surfaites pour s’attacher aux vraies gloires et tirer de
l’ombre le petit maître mésestimé ou le débutant inconnu... On
relève une tendance mieux accusée à la généralisation et des con-
sidérations esthétiques plus hautes dans le livret sur La Peinture
à l’Exposition universelle de 1855 ; les théories qui s’y trouvent
développées se ressentent de la pratique de l’art et du matérialisme
de l’époque.Parce qu’ilsont manié le pinceau, les Concourt inclinent
à donner le pas à la technique sur l’invention, et, avec les critiques
de leur génération, ils croient à la vanité de l’art spiritualiste. A cet
égard, leur brochure peut être utilement rapprochée de La Philo-
sophie du Salon de 1857 de Castagnary. Entre les thèses soutenues,
les points communs abondent ; même certitude de la prééminence de
l’école française ; même ardeur à proclamer la déchéance de la pein-
ture historique ou religieuse. « La nature et l’homme, le paysage,
le portrait et le tableau de genre, voilà tout l’avenir de l’art»,
d’après Castagnary. Les deux frères se montrent encore plus réservés ;
ils hésitent sur les destinées promises au genre, au portrait, et leur
espoir se confie au paysage, « victoire de l’art moderne ».
La liberté foncière du goût et un attachement profond à leur
temps devaient soustraire les Concourt aux abus de leur doctrine. Peu
leur importe d’avoir défendu à la peinture d’être « le langage de la
pensée», ils ne lui demanderont pas moins de « parler au cerveau
de l’avenir », de fixer la vie du siècle avec son caractère et son esprit.
« La sensation, l’intuition du contemporain, du spectacle qui vous
1. Parmi ces articles de l'Éclair et du Paris, quelques-uns ont été réimprimés
dans Pages retrouvées, Paris, Charpentier, 1886, in-18. La réunion du Salon de
IS52 et de La Peinture à l’Exposition universelle de 1855 a formé le volume des
Études d'art, Paris, Flammarion, in-18 illustré. (Voir, sur cet ouvrage, la Gazette
des Beaux-Arts, 3e pér., t. X, p. 507-513). Edmond de Concourt a écrit entre au-
tres préfaces, celle de la vente de la collection Sichel (Un mot sur Barye), celle de
la Vie artistique de M. Geffroy (Étude sur M. Carrière), et celle du catalogue d’ex-
position des eaux-fortes de M. Helleu.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
s’exercent dans la critique de l’art contemporain ; la mission leur
incombe d’épier le renouveau de la peinture aux vitrines de la rue
Laffitte, et tour à tour leur chronique se consacre au peintre qui
meurt, à l’estampe qui paraît, à l’exposition qui s’ouvre b Salonniers,
les deux frères tiennent le rôle avec l’attention scrupuleuse de néo-
phytes, commentant tout par le détail, le bon et le passable, le tableau
et la statue, le dessin et la lithographie, le pastel et jusqu’au lavis
des architectes ; ils professent la générosité lucide qui néglige les
réputations surfaites pour s’attacher aux vraies gloires et tirer de
l’ombre le petit maître mésestimé ou le débutant inconnu... On
relève une tendance mieux accusée à la généralisation et des con-
sidérations esthétiques plus hautes dans le livret sur La Peinture
à l’Exposition universelle de 1855 ; les théories qui s’y trouvent
développées se ressentent de la pratique de l’art et du matérialisme
de l’époque.Parce qu’ilsont manié le pinceau, les Concourt inclinent
à donner le pas à la technique sur l’invention, et, avec les critiques
de leur génération, ils croient à la vanité de l’art spiritualiste. A cet
égard, leur brochure peut être utilement rapprochée de La Philo-
sophie du Salon de 1857 de Castagnary. Entre les thèses soutenues,
les points communs abondent ; même certitude de la prééminence de
l’école française ; même ardeur à proclamer la déchéance de la pein-
ture historique ou religieuse. « La nature et l’homme, le paysage,
le portrait et le tableau de genre, voilà tout l’avenir de l’art»,
d’après Castagnary. Les deux frères se montrent encore plus réservés ;
ils hésitent sur les destinées promises au genre, au portrait, et leur
espoir se confie au paysage, « victoire de l’art moderne ».
La liberté foncière du goût et un attachement profond à leur
temps devaient soustraire les Concourt aux abus de leur doctrine. Peu
leur importe d’avoir défendu à la peinture d’être « le langage de la
pensée», ils ne lui demanderont pas moins de « parler au cerveau
de l’avenir », de fixer la vie du siècle avec son caractère et son esprit.
« La sensation, l’intuition du contemporain, du spectacle qui vous
1. Parmi ces articles de l'Éclair et du Paris, quelques-uns ont été réimprimés
dans Pages retrouvées, Paris, Charpentier, 1886, in-18. La réunion du Salon de
IS52 et de La Peinture à l’Exposition universelle de 1855 a formé le volume des
Études d'art, Paris, Flammarion, in-18 illustré. (Voir, sur cet ouvrage, la Gazette
des Beaux-Arts, 3e pér., t. X, p. 507-513). Edmond de Concourt a écrit entre au-
tres préfaces, celle de la vente de la collection Sichel (Un mot sur Barye), celle de
la Vie artistique de M. Geffroy (Étude sur M. Carrière), et celle du catalogue d’ex-
position des eaux-fortes de M. Helleu.